Accéder à internet et maîtriser le numérique : deux enjeux différents et essentiels

Le numérique peut faciliter la vie comme il peut exclure de la société. Alors que le gouvernement et les collectivités s'activent pour offrir à tous les citoyens une connexion internet performante, une autre problématique se pose : une fois que l'on a accès au numérique, comment l'utiliser de manière efficace et éclairée ? Comment donner confiance dans l'outil numérique alors que se pose le problème de souveraineté des données? Éléments de réponse.
Citoyenneté et numérique étaient au cœur du Forum Citoyen 3.0 ce vendredi 24 février à Toulouse

L'utilité même du numérique dans la vie de tout un chacun n'est plus contestée. Pour trouver un travail, remplir des démarches administratives, vérifier des horaires de bus... À l'heure actuelle, la question qui se pose concerne l'accès au numérique pour tous, la fameuse fracture numérique. À l'image du fossé qui sépare les gens qui savent lire et ceux qui ne savent pas lire, le numérique est autant un facteur de réussite sociale que d'exclusion. Mais, au-delà de l'accès technique à internet, d'autres enjeux apparaissent, dont se saisit majoritairement le milieu associatif : comment maîtriser l'outil ? Comment s'épanouir avec le numérique sans y être asservi ?

Ce vendredi, lors de l'événement Forum Citoyen 3.0 organisé par La Tribune Toulouse au Conseil départemental de Haute-Garonne, les invités de la table ronde "le numérique, facteur d'inclusion ou d'exclusion sociale ?" ont apporté des éléments de réponse.

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Internet pour tous et partout, pour quand ?

En matière d'infrastructures, en Haute-Garonne c'est le Conseil départemental qui est à la manœuvre, dans le cadre du plan gouvernemental France Très Haut Débit. Dans le département, un territoire composé d'une grande métropole (Toulouse) et de territoires ruraux et montagneux, l'accès au haut débit et, encore plus, au très haut débit, reste très inégal.

"Ce que l'on qualifie de fracture numérique est bien une réalité et constitue une entorse à l'égalité d'accès au service public", a assuré ce matin Georges Méric, président PS du Conseil départemental.

Pour réduire, voire anéantir cette fracture, une enveloppe de 180 millions d'euros est mobilisée dans les 5 années à venir, dont 22 millions par le Conseil départemental aux côtés des EPCI, de la Région, de l'État et de l'Europe.

"Notre ambition est de faire en sorte que les opérateurs qui ne viennent pas d'emblée sur les territoires ruraux puissent venir, grâce à une intervention publique. Car, sans cela, beaucoup de territoires ne seraient pas couverts. Le Conseil départemental veut le très haut débit pour tous d'ici à 2030" a précisé Annie Vieu, présidente du syndicat mixte Haute-Garonne Numérique. Et l'enjeu est clair : "nous avons constaté que le développement économique des différentes zones du département dépend de l'accès au numérique. Quand un jeune couple veut s'installer à la campagne, il y a une condition sine qua non : l'accès à internet en haut débit."

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Annie Vieu, présidente du syndicat mixte Haute-Garonne Numérique © photo Rémi Benoit

Les Français, pas si à l'aise avec le numérique

Nous ne sommes pas tous égaux devant un ordinateur. Orianne Ledroit, coordinatrice du pôle Société Numérique au sein de l'Agence du numérique, a donné lors du forum quelques chiffres évocateurs : non seulement 15 % des personnes n'ont pas internet à domicile, "une situation subie pour raisons de coûts ou de difficultés à utiliser l'outil", mais, par ailleurs, "20 % de la population française ne se sentent pas à l'aise avec les outils informatique et numérique alors même que la grande majorité considère qu'internet est un moyen d'être intégré dans la société". Enfin, en 2016, 40 % des Français se disent inquiets à l'idée de faire des démarches administratives et fiscales en ligne. "Le gap est non seulement générationnel (les séniors sont moins à l'aise que les jeunes), mais on constate qu'il dépend aussi du niveau de diplôme", avance Orianne Ledroit.

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Orianne Ledroit, lors de la table ronde "Le numérique, facteur d'inclusion ou d'exclusion sociale ?" vendredi 24 février ©photo Rémi Benoit

Pour Olivier Hag, responsable des formations numériques au sein de l'association Combustible, "il y a une pression de la société pour que tout le monde utilise le numérique, mais certaines personnes ne peuvent pas pour de nombreuses raisons. On le voit avec les seniors : ils ne sont pas nés avec la technologie, vivent bien sans, et n'en ont pas envie. Mais il y a une insistance du côté de leur entourage et de la société en général, avec de plus en plus de démarches administratives dématérialisées."

En Haute-Garonne, par exemple, sur 75 000 bénéficiaires des transports scolaires gratuits Arc-en-Ciel, 55 000 font leur déclaration sur internet. Depuis 2015 a également été mise en place la dématérialisation des demandes d'agrément d'assistance maternelle. "Dans les prochains mois, il y aura la possibilité de faire en ligne son dossier pour la restauration scolaire et de souscrire en ligne à un service de télé-assistance pour personnes âgées", précise Annie Vieu.

"Toutes ces démarches sont positives. La Smart city, le Labo des Usages, etc., c'est bien mais on oublie les personnes qui n'ont pas accès à la technologie", a tenu à rappeler Olivier Hag.

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Olivier Hag, responsable des formations numériques au sein de l'association Combustible ©photo Rémi Benoit

La médiation au cœur des enjeux

Pour parer aux difficultés d'appropriation de l'outil numérique, plusieurs services de médiation sont mis en place dans les territoires, à l'image de ce que propose l'association Combustible.

"On essaie de répondre aux besoins de formation avec l'idée de créer du bien-être devant la machine. Il faut aussi maîtriser l'outil, le système, l'utiliser dans la confiance. On utilise pour cela des outils libres en open source et provenant de la culture maker, des outils que l'on maîtrise", précise Olivier Hag.

Au sein de l'Agence du numérique, une Coopérative de la médiation numérique a été créée pour tenter de fédérer ces multiples initiatives (10 000 en France) souvent peu visibles : "Tous les acteurs des structures qui facilitent l'appropriation des cultures numériques (fablab, médiathèques, etc.) sont hétérogènes, fortement liées à la subvention publique, pas forcement visibles pour les habitants, et ont besoin de monter en compétence. Le but est également de faire de la médiation numérique une sorte de lobby auprès des pouvoirs publics", a développé ce matin Orianne Ledroit.

Dans la même philosophie, l'Agence nouvelle des solidarités actives (Ansa) a été créée (par Martin Hirsch) avec l'idée de privilégier l'expérimentation au plus près des usagers. Objectif : avoir une chance de transformer les politiques sociales pour plus d'efficacité. Son président, François Enaud, également présent ce vendredi au Forum Citoyen 3.0, a expliqué que les initiatives ne manquent pas en matière de médiation numérique : "Il faut les identifier, les accompagner, apporter du professionnalisme, évaluer avec objectivité les résultats et, enfin, aider au changement d'échelle : ce qui marche mérite d'être transposé ailleurs."

Parmi les exemples donnés ce matin, "la mise en place d'une consigne numérique solidaire pour déposer ses documents personnels, ou encore le développement d'une plateforme d'accès au droit pour connaître ses droits en matière de logement, de travail, de citoyenneté. Des choses qui améliorent le quotidien."

François Enaud ansa

François Enaud, président de l'Ansa © photo Rémi Benoit

Avoir confiance dans le numérique, un autre problème !

"Pour la première fois en 2016, on constate une baisse de la confiance des Français dans l'usage du numérique", a indiqué Orianne Ledroit ce matin. Une question qui tient à cœur à François Enaud :

"On occulte complètement le problème de la sécurité, le revers de la médaille. La question de la souveraineté commence à entrer dans le débat public et peut devenir un frein au déploiement du numérique. Les utilisateurs en prennent conscience, il faut que les pouvoirs publics fassent de même."

Mais des solutions existent pour rétablir la confiance selon Olivier Hag, qui prône une alternative aux Gafas : "Il existe d'autres solutions que les outils mainstream. Il y a d'autres outils, respectueux de la vie privée, parfois aussi facile à maîtriser. Linux, moins sensible aux virus, par exemple. Et la médiation est là aussi pour rassurer : petit à petit, on désacralise la machine, c'est très important pour quelqu'un qui trouve que c'est complexe ou peu intuitif. Ça peut prendre 6 mois, parfois plus. Mais il est essentiel de ne pas se contenter d'utiliser les technologies, mais de les maîtriser également. Il faut se réapproprier la techno pour ne pas être soumis."

Le formateur s'étonne à ce sujet de la différence de comportement entre les jeunes et les séniors : "Il faut faire attention à ce que l'usager ne devienne pas produit ou consommateur du numérique. On voit que les seniors sont plus réceptifs à ce discours. Pour le jeune public, la question ne semble pas pertinente : pour eux, tant que ça marche, c'est super."

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