La fin du règne Baylet dans le Tarn-et-Garonne, les coulisses d'une folle semaine

45 ans balayés en 4 jours. La famille Baylet dirige le département du Tarn-et-Garonne depuis des décennies. Jeudi, le fils a perdu le fief conquis par la mère en 1970. Jean-Michel Baylet a voulu éviter l'humiliation d'une défaite. Il ne s'est pas présenté à la présidence d'un département qu'il préside depuis 8 mandats. Le président sortant est "sorti" par un inconnu désormais "illustre" : Christian Astruc. Tout le monde attendait un duel Baylet-Barèges. Mais, c'est le maire d'une petite commune qui va détrôner le "roi du Tarn-et-Garonne". Récit en coulisses d'une chute brutale et d'une ascension express.
Jean-Michel Baylet a perdu son fief du Tarn-et-Garonne

Lundi 30 mars

La veille, les résultats du second tour douchent les calculs de Brigitte Barèges. La maire de Montauban remporte 5 cantons. Pour le troisième tour, cela permet de compter sur 10 voix. Pour évincer Jean-Michel Baylet de son fauteuil, il en faut 16. Le compte n'est pas bon. C'est alors que Christian Astruc entre en piste. Un de ses amis de 25 ans, le sénateur Yvon Collin va jouer un rôle déterminant. Ancien bras droit de Jean-Michel Baylet, le parlementaire connait les élus du département. C'est lui qui, pendant des années, s'est occupé de négocier les élections pour le compte du patron du PRG. Il a un carnet d'adresses et d'importants réseaux. Yvon Collin met sa force de frappe au service d'une candidature. Celle de Christian Astruc. Encore faut-il que le maire de Dunes soit candidat ! Son nom commence alors à circuler. Toute la journée, Christian Astruc réfléchit. Il ne répond pas au téléphone et, après avoir eu une conversation avec un lieutenant de Brigitte Barèges, il disparaît des écrans radars. Le standard de sa mairie fait barrage. Il dit même être parti en Lozère, son pays d'origine. En fin d'après-midi, toujours pas de fumée blanche ou... noire. Yvon Collin est dans l'expectative. Christian Astruc est très attaché à sa commune. L'abandon de sa municipalité le retient.

Mardi 31 mars

Seule et unique rencontre entre Christian Astruc et Jean-Michel Baylet. Elle se déroule au Conseil général, dans le bureau de président du PRG. Elle tourne court. Christian Astruc ne veut pas négocier. Après son élection, il affirmera que Jean-Michel Baylet était prêt à lui céder beaucoup. Dans le camp de Brigitte Barèges, on affirme que Jean-Michel Baylet était même prêt à lui confier la présidence de la Communauté de communes à laquelle appartient Dunes. Une présidence jusqu'alors exercée par Jean-Michel Baylet. Christian Astruc est inflexible. Yvon Collin le qualifie de "menhir". Le même jour, deux réunions se déroulent dans les deux camps adversaires. Le Parti Socialiste s'inquiète d'un manque de pugnacité du côté de Jean-Michel Baylet. La présidente du groupe PS au Conseil général, Dominique Sardeing-Rodriguez, lance une vérité arithmétique qui suscite des crispations chez ses camarades : "8 PRG et 4 PS cela fait 12. 8 et 4 cela a toujours fait 12. Nous n'avons pas de majorité. On peut juste compter sur 12 voix certaines et c'est tout." Une autre angoisse tenaille les socialistes. Ils s'inquiètent de l'absence d'un plan B. L'hypothèse d'une candidature socialiste est alors évoquée. Du côté de Brigitte Barèges, une réunion se tient également. La maire de Montauban, Thierry Deville (maire-adjoint et conseiller régional) sont autour de la table. On parle de la présence de Christian Astruc et d'Yvon Collin. Les intéressés ne démentent pas. Rapidement, des fuites évoquent un accord. Brigitte Barrèges obtiendrait la première vice-présidence, la présidence de la commission du budget et des ressources humaines. Cette hypothèse arrive aux oreilles du camp Baylet. Elle est vécue comme un "casus belli". C'est, selon eux, la preuve absolue d'une collusion entre Brigitte Barèges et le tandem Astruc-Collin.

Mercredi 1er avril

Toujours pas de déclaration de candidature de la part de Christian Astruc. Sa messagerie vocale est saturée. À Dunes, sa secrétaire précise que monsieur le maire est absent. Même silence radio du côté de son domicile privé. Cette stratégie du "black out" est évidemment calculée. Au téléphone, Yvon Collin précise : "Sa décision est prise. Mais ce sont les conditions qui sont compliquées." En fin d'après midi, Leopold Viguier (conseiller général sortant et doyen de l'assemblée) annonce à un journaliste local que Christian Astruc est candidat. L'information n'est pas vérifiable en raison du silence du maire de Dunes et de la prudence oratoire d'Yvon Collin. Elle n'est pas rendue publique. L'inquiétude monte au PS. L'impression d'une défaite programmée s'installe dans les esprits. Les soutiens de Jean-Michel Baylet estiment qu'il ne négocie pas vraiment. Pourtant, Sylvia Pinel téléphone à la binôme de Christian Astruc, Marie-José Maurièges. Jean-Michel Baylet va même se déplacer pour la rencontrer. Mais les socialistes trouvent que ce n'est pas suffisant. La légende d'un Baylet capable de retourner les situations et de vaincre les résistances est écornée. Pour des membres du camp Baylet, le patron du PRG est dépassé par les événements. Il n'a jamais connu de situation aussi compliquée et tendue et il n'a pas le mode d'emploi. Dans une conservation téléphonique, Jean-Michel Baylet confesse sa lassitude et sa fatigue. Manuel Valls est informé de la situation. Un message prévient Matignon que la gauche n'a pas de majorité. C'est alors qu'un socialiste prévient Jean-Michel Baylet d'une "trahison" dans son camp. Le maire de Castelsarrasin, Jean-Philippe Béziers, n'est pas comme d'autres indépendants. Il n'a pas déclaré ouvertement qu'il ne voterait jamais pour Jean-Michel Baylet. Au contraire. Il a laissé croire que le camp Baylet pouvait compter sur sa voix et celle de son binôme. Le futur ex-président du département est dubitatif. Il ne réagit pas. Son camp attend toujours une stratégie et des scénarios. En vain.

Jeudi 2 avril

8h15. Yvon Collin est prudent : "Rien n'est fait". Il précise juste, du bout des lèvres, que le discours de Christian Astruc, en cas d'élection, est prêt. Il est même un peu nerveux : "Si cela ne passe pas au premier tour, ça va être compliqué."

9h. Réunion des socialistes à la Fédération du PS. Le moral est bas. Dominique Sardeing-Rodriguez est défaitiste : "Nous allons perdre. La bascule à droite du département, on peut l'admettre. Si on perd, on perd. Mais Barèges, non, c'est impossible." Ce cri du cœur résume l'état d'esprit des socialistes. Ils sont farouchement anti-Barèges. Mais plus vraiment pro-Baylet.

9h30. Dans son bureau, à quelques minutes du vote, Jean-Michel Baylet apprend, de la bouche même de Jean-Philippe Béziers, que celui-ci ne votera pas pour lui. La défaite est inévitable. Il choisit de se retirer. Une candidate estampillée Baylet se présente face à Christian Astruc. Yvon Collin fulmine : "Envoyer une femme au bouchon. Baylet n'a même pas la dignité d'aller jusqu'au bout." Le sénateur voulait la défaite de Baylet. Pas uniquement son retrait. Dominique Sardeing-Rodriguez résume l'état d'esprit du camp Baylet : "Pas question de leur offrir cette joie. Une défaite de Baylet, cela aurait été horrible."

10h30 - 11h. Le nouveau président du conseil départemental, Christian Astruc, est élu avec 18 voix sur 30 votants. Dans la foulée, les vice-présidents sont désignés. Brigitte Barèges obtient seulement la quatrième vice-présidence. La première revient à la binôme du maire de Dunes, Marie-Josée Maurièges. Cette distribution des cartes n'est pas un hasard. Des négociations et des interventions ont contrecarré les demandes de Brigitte Barèges. Baylet a perdu le département. Mais la maire de Montauban n'a pas tout à fait gagné ce qu'elle espérait. Depuis les résultats du second tour, le dimanche, Brigitte Barèges a pratiqué le billard à deux bandes. En cas de non candidature de Christian Astruc, elle avait l'intention de présenter son candidat (Pierre Ardiguan était pressenti). Une fois le maire de Dunes mis en orbite, elle veut placer ses soutiens et prendre en main les fonctions stratégiques au Conseil départemental : première vice-présidence, budget, délégation de signature...

Depuis le début de la semaine, ses proches répètent : "Brigitte n'a jamais eu l'intention de se présenter à la présidence. L'interdiction de cumuler les mandats l'aurait obligé à quitter la mairie." Les socialistes récusent cette version des faits. Pour eux, Brigitte Barèges cherche une sortie de secours en cas de confirmation (en appel) de l'inéligibilité prononcée par le Tribunal de Toulouse l'automne dernier. Néanmoins, il semble bien que la maire de Montauban ne souhaitait pas prendre le fauteuil de Jean-Michel Baylet. Un point est cependant avéré. Brigitte Barèges était bien candidate à la première vice-présidence.

Le vote (après l'élection du président) des vice-présidences est donc un échec pour la maire de Montauban. Ni elle, ni son dauphin Pierre Ardiguan n'obtiennent les clés du pouvoir. Dans le camp Baylet, cette déconvenue ne passe pas inaperçue... bien sûr. Des SMS partent alors que la séance est encore en cours. Un conseiller départemental sortant insiste lourdement : "Seule la première vice-présidence a vraiment du poids. Toutes les autres sont symboliques et Barèges finit quatrième VP."

La quatrième vice-présidence est une épine dans le pied de Brigitte Barèges. Bientôt, une fois la séance levée, elle va se démener pour essayer de récupérer du terrain en se battant pour obtenir les délégations de signature. Brigitte Barèges cultive une image d'ouverture et accomplit un geste symbolique. Elle fait offrir, à toutes les conseillères départementales, des roses. C'est sa directrice de cabinet qui distribue les bouquets. Trois roses que Dominique Sardeing-Rodriguez s'empresse d'offrir à une fonctionnaire qui part à la retraite.

Jean-Michel Baylet n'a pas assisté à cette scène. Après l'attribution des vice-présidences, avant le vote sur la composition de la Commission permanente, le désormais ex-président du département a quitté la salle.

Vendredi 3 avril

Dans la nuit de jeudi à vendredi, Jean-Michel Baylet vide totalement son bureau. Le vendredi matin, le nouveau président, Christian Astruc, et son conseiller Yvon Collin font l'état des lieux et la tournée des bureaux. Brigitte Barèges et Thierry Deville sont également présents. Du côté de l'ancienne majorité, on soupçonne Yvon Collin de chercher, dans les tiroirs et les armoires, des documents.

Vendredi après-midi, Christian Astruc est dans les locaux de France 3 Midi-Pyrénées. Il enregistre une émission et déclare : "Il y a une semaine, jamais je n'aurai cru devenir président."

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