Tous les startuppers ne sont pas des génies

Qui sont les créateurs de startups français et quel est leur parcours avant de se lancer ? Dans un ouvrage à paraître, le sociologue toulousain et directeur de recherche au CNRS Michel Grossetti publie le résultat d'une enquête menée entre 2005 et 2015 auprès de 97 entreprises innovantes françaises. Il relève peu de réussites à la Google mais surtout la naissances d'entreprises au succès discret. Entretien.
Michel Grossetti est directeur de recherche au CNRS.

La thèse centrale de votre enquête est que la plupart des créateurs de startups sont des « innovateurs ordinaires ». Pouvez-vous définir ce terme ?

Une grande partie de la littérature sur les startups se concentre sur les réussites très massives à l'image de Facebook ou Google. Parfois, on s'intéresse aussi aux échecs. Or la majorité des cas rencontrés lors de notre enquête montre peu de réussites éclatantes mais également peu d'échecs retentissants. Nos histoires dessinent plutôt un monde d'innovations et d'entreprises discrètes, connaissant des succès variés, souvent bien réels, quoique limités. Certaines ont une ou deux salariés seulement.

Les plus gros succès concernent des entreprises qui ont dépassé la centaine de salariés au bout de 6 à 7 années à l'image de Magellium (société toulousaine spécialisée dans la géoinformation par satellites créée en 2003 et qui compte 130 salariés, NDLR) ou Lyra Network (société de sécurisation des transactions en ligne qui compte 120 salariés à Labège, et un chiffre d'affaires de 54 millions d'euros, NDLR). Mais la moyenne se situe autour d'une dizaine de salariés. L'expression "innovateurs ordinaires" rend compte de cette réalité en demi-teinte.

 À quoi ressemble l'innovateur ordinaire ?

Leurs parcours ne ressemblent pas à celui que l'on imagine en général pour les fondateurs de startups. Les étudiants sont très largement minoritaires et les moins de 30 ans représentent moins de 20 % des fondateurs.

Hormis les membres de la recherche publique, les plus nombreux sont des ingénieurs ou des cadres techniques de 30 à 50 ans qui ont une carrière professionnelle en tant que salariés. Ces startuppers prennent la décision de créer une entreprise à un moment où leur carrière est dans une situation de relative instabilité professionnelle. Il existe aussi quelques retraités. En revanche, nos entrepreneurs partagent une caractéristique avec les exemples célèbres déjà évoqués : ce sont très majoritairement (à 93 %) des hommes.

Vous bousculez le cliché de l'homme frappé d'un éclair de génie et qui décide monter sa startup.

Vous pouvez avoir une idée et la réaliser dans l'entreprise où vous êtes déjà salarié, la création d'entreprise n'est donc pas indispensable pour réaliser un certain nombre de projets. Et réciproquement, il n'est pas nécessaire d'avoir une idée pour créer une entreprise, il suffit parfois de s'associer avec quelqu'un qui a une idée.

Au cours de notre enquête, nous avons rencontré plusieurs cas de figure. Il existe des salariés qui ont des idées depuis longtemps mais qui n'arrivent pas à les réaliser dans leur structure : soit ils quittent leur emploi pour créer leur entreprise, soit (et c'est le cas le plus fréquent) l'instabilité professionnelle (licenciement, mise au placard) les pousse à réaliser leur projet. Enfin, une partie des innovateurs ne quittent pas leur emploi ( par exemple les chercheurs ou certains cadres) et mène en parallèle leur création d'entreprise.

L'entrepreneur est rarement seul à la création de la startup...

La vision du fondateur unique est largement nuancée puisqu'elle est minoritaire (seuls 25 % des sociétés étudiées). 32 % des entreprises innovantes sont créées par deux fondateurs,  25 % par trois personnes et même 13 % par quatre personnes.

En revanche, vous n'établissez aucun facteur probant de succès ou d'échec d'une startup. Pourquoi ?

Ce n'était pas l'objectif de l'enquête car nous nous sommes intéressés davantage aux fondateurs, à leurs projets, à leurs réseaux. Notre interprétation est que le devenir des startups de notre population était et reste largement imprévisible. Il dépend probablement de trop de paramètres externes (présence ou absence de débouchés, de financements, retournements de conjoncture) et internes (entente des personnes, succès ou échec des développements techniques) pour faire l'objet de prévisions même approximatives.

Nous avons tout de même remarqué deux petites tendances. La première est liée à la corrélation entre la disparition des entreprises et la faiblesse des accès aux ressources par des relations professionnelles. Alors qu'en moyenne 39 % des accès aux ressources s'effectue par des relations professionnelles dans l'ensemble de ces entreprises, cette proportion est seulement de 17 % pour celles qui ont disparu.

L'autre tendance, qui est liée à la première, est qu'il y a plus de cessations d'activités et de situations difficiles parmi les entreprises créées par un fondateur unique (41 % contre 19 % pour des fondateurs multiples).

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