Une chercheuse toulousaine enquête sur le sexisme envers les femmes journalistes politiques

Professeure à l'université Toulouse 2 Jean-Jaurès, Marlène Coulomb-Gully vient de publier l'ouvrage "8 femmes sur un plateau : télévision, journalisme et politique" qui retrace le parcours de Christine Ockrent, Audrey Pulvar ou la pionnière Danièle Breem. Si les humiliations se sont atténuées, le sexisme demeure envers ces femmes qui ont choisi le journalisme politique. Un livre qui résonne un an après la publication de l'appel dans Libération du collectif Bas les pattes.
Christine Ockrent, Audrey Pulvar et Anne Sinclair, trois figures du journalisme politique

"C'est l'anecdote la plus hallucinante qu'on m'ait racontée!", s'exclame Marlène Coulomb-Gully. Professeure à l'université Toulouse 2 Jean-Jaurès, elle entame son ouvrage consacré aux femmes journalistes politiques (8 femmes sur un plateau : télévision, journalisme et politiques, Nouveau monde éditions) par l'incroyable parcours de Danièle Breem. C'est la première femme dans les années 50 à couvrir l'actualité à l'Assemblée nationale pour l'ORTF et aussi celle à qui l'on doit l'entrée des caméras de TV dans la salle des Quatre Colonnes. Au cours de ses recherches, la chercheuse toulousaine a eu vent d'une anecdote qui illustre les humiliations vécues par la pionnière du journalisme politique :

"À l'époque, quand les journalistes commentaient à l'antenne les images qu'ils avaient tournées, ils devaient se serrer, l'un à côté de l'autre, sur le petit banc de la cabine du speaker. Quand venait le tour de Danièle, ses collègues ouvraient leur braguette et lui pissaient sur les chaussures. Elle, imperturbable, continuait à lire son texte."

60 ans plus tard, la scène paraît surréaliste. Pour autant, le machisme est-il en voie de disparition ? Il y a un an, dans Libération le collectif Bas les Pattes dénonçait à nouveau des gestes déplacés à l'encontre des journalistes politiques. "La société est sexiste. Consciemment ou inconsciemment, les hommes continuent à reproduire ce type de coutumes. Dernièrement, le ministre des Finances Michel Sapin a été épinglé pour avoir fait claquer la culotte d'une journaliste qui s'était penchée pour ramasser un stylo. Ce dernier s'est défendu en déclarant qu'il s'agissait d'une blague potache", note cette professeure dont les recherches portent sur les rapports entre médias, genre et politique. En 2012, elle a notamment publié "Présidente : le grand défi" qui retrace le parcours des femmes candidates à l'élection présidentielle.

8 femmes sur un plateau

Couverture de l'ouvrage (Crédit : DR).

DES SUJETS TYPIQUEMENT FÉMININS

Marlène Coulomb-Gully décrit à travers ces portraits de femmes quelques écueils du sexisme ordinaire. Au début des années 50, ces journalistes ont du mal à s'imposer sur les sujets politiques. Avant de prendre ses galons à l'Assemblée, Danièle Breem se voit attribuer un reportage où elle fait la démonstration d'un robot ménager. À la même période, la jeune Jacqueline Baudrier entre à l'ORTF, affectée au Magazine Féminin dont la ligne éditoriale est centrée autour de la mode, la cuisine, la couture et les enfants. De son côté, Arlette Chabot est nommée "commis d'office" à Radio France pour couvrir la loi Veil. Sa rédaction lui demande alors "de faire le tour des maternités, prétendant être enceinte et vouloir avorter et d'enregistrer les réactions de ses interlocuteurs et interlocutrices en micro caché" !

"Heureusement, ce n'est plus le cas depuis le tournant des années 80. On trouve des femmes journalistes dans toutes les rubriques d'information", note la professeure.

En revanche, elle remarque une constante : "la sexualité de ces femmes est très fréquemment abordée sans que nous soyons à l'initiative de cette question, s'agissant en tout cas des entretiens que nous avons menés". Première femme à diriger TF1 puis France 2, Michèle Cotta fait les frais, lors de son passage à L'Express, de ragots incessants. "Lorsque quelqu'un lance le bruit que je couche avec la moitié de la rédaction, je ne vais surtout pas démentir, au contraire... Lorsqu'on me dit : 'Alors, il paraît qu'avec untel...', je réponds : 'Oh là là! si tu savais, formidable !"

L'autre critique récurrente concerne l'argent. On se souvient de la marionnette de Christine Ockrent dans les Guignols avec des liasses de billets à l'époque de son arrivée à France 2 où son salaire fait polémique. "Pourtant, d'autres journalistes comme William Leymergie gagnaient beaucoup plus", remarque Marlène Coulomb-Gully. Plus récemment, en 2011, Audrey Pulvar reçoit des critiques sur ses lunettes en écaille de tortue dont la valeur est estimée à 15 000 euros.

Marlène Coulomb-Gully tente enfin de distinguer des points communs dans le parcours de ces pionnières du journalisme politique. Elle remarque que "la plupart expriment un attachement très fort à leur père, qu'elles désignent parfois explicitement comme étant à l'origine de leur vocation et que beaucoup sont des enfants uniques ou des aînées".

"Les femmes politiques sont dans la même situation comme si le fait d'intégrer un milieu politique requerrait peut-être le fait de se sentir investie, en tant qu'aînée, d'attentes de la part du père", conclut-elle.

La professeure toulousaine planche déjà sur l'ouvrage suivant qui sera publié avant la présidentielle. Consacré cette fois aux femmes politiques, il portera le titre : "Pour en finir avec les seconds rôles".

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