Biotechs : à Toulouse, la difficile émergence des startups de la santé

Le passage du laboratoire à la création d'entreprise est souvent difficile pour un chercheur qui souhaite commercialiser une innovation. Dans le secteur de la santé, en effet, les investisseurs sont encore peu nombreux et très regardants sur le potentiel commercial de la découverte. Quelles sont les biotechs toulousaines qui réussissent ? Comment séduire un capital-risqueur ? Décryptage.
Comment financer une startup santé ?

Cerenis Therapeutics, société toulousaine de biotechnologies, a réalisé l'une des plus belles entrées en bourse depuis 10 ans en levant cette année 53,4 millions d'euros. Spécialisée dans le traitement des maladies cardio-vasculaires, l'entreprise est née à Labège en 2005 et fait figure d'exemple dans le monde des biotechs. Pourtant, elle prévoit de ne réaliser son premier chiffre d'affaires qu'en 2018. "Nous n'avons bénéficié d'aucune aide, d'aucun local, d'aucun soutien", revendique son président Jean-Louis Dasseux. Cette "success story" est l'exception qui confirme la règle à Toulouse. En effet, Cerenis Therapeutics est l'une des trois biotechs locales à être cotée en bourse avec Genticel (qui développe des vaccins contre les virus du papillome humain) et Vexim (chirurgie du dos). Pour beaucoup d'autres, trouver des financements et développer son activité relève du parcours du combattant.

Du laboratoire à la startup, la "traversée du désert"

Sept startups sont actuellement hébergées dans la pépinière d'entreprises du Centre Pierre Potier, sur le site de l'Oncopole. Particularité de ce site financé par Toulouse Métropole : il accueille des startups en biotechnologies dont certaines sont issues de l'ITAV (Institut des technologies avancées en sciences du vivant), qui est situé... de l'autre coté du couloir, dans le même bâtiment. En effet, le principe de cette pépinière est de rapprocher en un même lieu un laboratoire et des entreprises, dans un esprit d'entraide et de mutualisation des moyens. L'ITAV est dirigé par Bernard Ducommun, qui constate les difficultés des chercheurs pour passer de la recherche en laboratoire à la commercialisation de leurs innovations (voire à la création d'entreprise) :

"Les biotechs sont des sociétés fragiles, qui demandent énormément d'investissements pour leurs travaux de recherche avant même de générer un chiffre d'affaires. Malheureusement, aujourd'hui, elles manquent encore du soutien des pouvoirs publics et de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Cette dernière préfère soutenir des grands projets de recherche fondamentale qui seront publiés dans des grands journaux, plutôt que des petits projets très applicatifs voués à trouver un marché.

Ainsi, quand un chercheur veut arrêter la recherche fondamentale et se lancer dans l'applicatif, c'est la traversée du désert. C'est pourtant à ce moment précis qu'il faut des incitations financières."

Quelles aides à Toulouse ?

À Toulouse, la fondation Toulouse Cancer Santé investit justement dans les projets qui sont dans cette phase critique. La fondation a déjà financé deux jeunes femmes qui sont venues des États-Unis et d'Allemagne pour monter leur startup à Toulouse (les chercheures Emmanuelle Meuillet et Sophie Pautot). L'une travaille sur la question des métastases, l'autre sur la neurotoxicité des médicaments contre le cancer.

Dans un second temps peut intervenir Toulouse Tech Transfer (TTT). La société d'accélération de transfert de technologie créée en 2012 dans le cadre des investissements d'avenir agit à deux niveaux différents. Tout d'abord, TTT investit dans des programmes de "maturation" des technologies (comment faire évoluer une technologie inventée en laboratoire pour l'adapter au marché en faisant la preuve du concept). Ensuite, TTT propose un accompagnement à la création d'entreprise.

"Nous avons accompagné 10 projets santé en maturation depuis 2012. Deux ont bénéficié d'un accompagnement à la création d'entreprise", indique Jean-Pierre Saintouil, directeur du pôle santé à Toulouse Tech Transfer. Une de ces deux biotechs est NéoVirTech (lutte contre les virus rares), créée en 2014 au sein du Centre Pierre Potier et qui réalise aujourd'hui un CA de 25 000 euros. L'autre est Picometrics (analyse de molécules d'ADN).

Enfin, en bout de chaîne se trouve BPI France. Selon Laurent Cambus, son délégué régional Innovation, en 2014, les biotechs ont représenté 16 % des montants d'investissements de BPI France en Midi-Pyrénées, soit 2,4 millions d'euros d'investissement.

"BPI investit soit en phase de faisabilité, soit en phase de développement. Nous intervenons uniquement quand l'équipe est constituée, la technologie validée et quand il y a éventuellement des touches avec des industriels."

Spécialiste de l'accompagnement de sociétés innovantes, il assure que "ce sont des projets dont la maturité est plus longue que dans d'autres secteurs, en moyenne 5 à 7 ans".

Une particularité confirmée par Bernard Ducommun :

"Là où une startup des TIC arrive à maturité en deux ans, il faut au moins le double pour une biotech. Une biotech peut rester plus de 5 ans en pépinière."

À noter que des fonds nationaux d'amorçage (FNA) ont été mis en place par l'État en 2011 et sont gérés par BPI France.

Qui sont les investisseurs ?

Dans le domaine des biotechs, les investisseurs locaux se comptent sur les doigts de la main : Capitole Angels (qui a investi 500 000 euros dans les startups Dendris et Intesens depuis janvier dernier) et IRDInov (au capital de Cerenis Therapeutics et Genticel notamment) sont les principaux financeurs, avec Ixo Private Equity. Les géants du secteur comme Rothschild et Sofinnova Partners (à Paris) reçoivent un nombre important de dossiers, ce qui les rend ultra-sélectifs sur leurs investissements. "Les investisseurs sont beaucoup plus prudents en France qu'aux USA, constate Jean-Pierre Saintouil. Ils ont sans doute davantage conscience de combien ils peuvent perdre en cas d'échec..."

Comment convaincre les investisseurs ?

Alors, comment convaincre les investisseurs de miser sur une biotech dont les dépenses sont lourdes et dont le premier chiffre d'affaires peut se dégager plusieurs années après la création de l'entreprise ?

"La qualité de l'équipe et du porteur de projet, leur expérience, leur complémentarité, sont des critères importants. Il y a aussi, bien sûr, la pertinence de l'offre : le produit ou la nouvelle molécule doit être différenciant(e) et assurer une vraie valeur ajoutée au client", explique Laurent Cambus, de BPI France.

Pour Jean-Pierre Saintouil, le premier critère est la personnalité du porteur de projet : "Est-ce que cette personne inspire confiance ? A-t-elle une expérience business ?"

La présence d'un profil "business" chez les porteurs de projet, un élément déterminant dont Denis Jullien retient une certaine amertume. Ancien de l'Inra, ce chercheur de 48 ans a voulu créer sa startup spécialisée dans des anticorps "nouvelle génération". Un échec total :

"Dans le milieu académique, on n'est pas du tout préparé au milieu de l'entreprise. J'étais naïf. Je n'ai pas réussi à convaincre les investisseurs ou les incubateurs, qui exigeaient que j'aie le marché avant même d'avoir le produit. Il me manquait une personne expérimentée en entreprise pour m'aider."

L'efficacité du produit, sa "safety" (ses effets secondaires) et l'importance du marché potentiel sont également déterminants pour les capitaux-risqueurs.

Néanmoins, certaines entreprises biotechs, à l'image de NéoVirTech, n'ont pas besoin d'investissements massifs.

"Nous venons de lever 120 000 euros uniquement grâce au 'love money' et cela nous suffit, explique ainsi le dirigeant de la startup Franck Gallardo. Si nous avons besoin de fonds dans les prochaines années, nous nous orienterons davantage vers Wiseed que vers des capitaux-risqueurs. Ces derniers ont déjà en tête de revendre la société au moment où ils investissent dedans."

Ce faible besoin en argent frais de NeoVirTech s'explique par l'activité même de la biotech, qui propose des services (une technologie en l'occurrence) et non des produits.

"Il faut distinguer deux types de biotech, détaille Jean-Pierre Saintouil de Toulouse Tech Transfer. Il y a celles qui proposent des services et réalisent rapidement du chiffre d'affaires comme NéoVirTech, ou Vectalys. Et puis, il y a celles qui développent des produits thérapeutiques, dont la R&D est très importante et qui ont besoin de fonds. Par exemple Genticel, ou Antabio. Pour ces startups, c'est plus compliqué."

Le cancer et les maladies de vieillesse, des secteurs porteurs

Enfin, dans la santé, tous les secteurs ne sont pas égaux en termes de débouchés. Les grandes sociétés de l'industrie pharmaceutiques (les "big pharma" comme Sanofi, Roche, Pfizer), qui achètent les découvertes des startups sous forme de licence, regardent certains domaines en particuliers.

"Tout ce qui est lié à la lutte contre le cancer, les maladies neurodégénératives et les maladies liées à la vieillesse ont le vent en poupe", assure Jean-Pierre Saintouil. La dermatologie présente également des débouchés dont ont su profiter les biotechs Pixience et Genoskin.

Il y a en revanche moins d'attente concernant les maladies cardio-vasculaires "pour lesquelles il existe déjà toute une batterie de médicaments efficaces". Les maladies infectieuses africaines (paludisme, malaria, tuberculose...) n'attirent pas non plus les pharmas car le marché n'est pas assez rentable.

Enfin, il y a toujours la possibilité de se lancer dans un marché de niche, comme NéoVirTech (virus de l'herpès) ou Vexim (microchirurgie du dos).

"De toute façon, conclut Jean-Pierre Saintouil, tous les capitaux-risqueurs disent que les projets qu'ils financent sont les bons. Il n'en reste pas moins que beaucoup de bons projets ne sont pas financés"...

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