Réalité virtuelle : les chercheurs toulousains imaginent les applications pour l'industrie

À quoi sert la réalité virtuelle ? Que faut-il attendre de cette technologie dans les années à venir ? Le casque Oculus Rift parviendra-t-il à la démocratiser auprès du grand public ? Éléments de réponse avec le chercheur toulousain Jean-Pierre Jessel qui effectue depuis 20 ans des recherches autour de ces environnements en 3D en temps réel. Le laboratoire dont il est directeur adjoint, l'Irit est à l'origine de nombreuses innovations dans l'industrie et les milieux artistiques. Interview.
Jean-Pierre Jessel réalise des recherches sur la réalité virtuelle depuis 1996

Depuis près de 20 ans, vous réalisez des recherches autour de la réalité virtuelle. De quoi parle-t-on exactement ?
Les concepts de la réalité virtuelle ont été établis au début des années 60, il s'agit de faire de l'informatique graphique, c'est-à-dire de la 3D en temps réel. Cela nécessite de construire des environnements complexes en 3D, comme des villes par exemple, mais aussi de gérer l'interaction en 3D. Aujourd'hui, au sein de l'équipe Vortex de l'Irit, nous cherchons à construire automatiquement des mondes virtuels complexes (des bâtiments, des villes) et à animer des objets, des véhicules ou des personnages de synthèse.

Parmi les applications de ces environnements virtuels figurent la simulation et la formation. Historiquement, les environnements virtuels étaient utilisés pour les simulateurs de vol ou de conduite. Actuellement, ces environnements 3D sont de plus en plus utilisés pour former des opérateurs de maintenance chez Airbus, dans les centrales nucléaires et dans beaucoup d'autres domaines.

Justement, quels sont les domaines d'applications de vos recherches sur la réalité virtuelle ?
Nous sommes sollicités aussi bien par des industriels (des startups jusqu'aux grandes entreprises comme Airbus), des archéologues ou des artistes. Dans la 3D, l'une de nos plus belles réussites est la startup toulousaine FittingBox, qui propose un outil d'essayage de lunettes sur Internet. La webcam filme la personne et le système ajoute la paire de lunettes. Ce système est applicable à des bijoux et des vêtements.

Au sein de l'équipe, nous avons également travaillé sur des outils numériques pour aider à la mise en scène au théâtre. Le texte de la pièce est utilisé pour récréer le décor en images de synthèse. Par exemple, si la didascalie précise que l'intrigue se déroule au XVIIIe siècle dans une salle à manger avec une table, une chaise et une commode, nous sommes capables de modéliser l'image mentale d'une telle description. Nous avons été jusqu'à habiller les personnages de synthèse et donner une idée des mouvements des acteurs. Aujourd'hui, beaucoup de storyboard au cinéma sont crayonnés à la main ou construits à l'aide de photos. Grâce à la réalité virtuelle, on peut prototyper grossièrement et de manière rapide la mise en scène imaginée par l'artiste et l'aider à choisir entre plusieurs prototypes de décors.

Concernant les serious games, nous avons mis au point avec l'université Champollion d'Albi le jeu Mecagenius pour apprendre à utiliser et reconnaître les pièces mécaniques. Notre prochain projet est 3DVor, un jeu de simulation dans une salle d'opération pour aider les chirurgiens, l'anesthésiste et les infirmières à apprendre les nouvelles normes et procédures opératoires.

La réalité virtuelle peut-elle aussi avoir des usages citoyens ou politiques ?
Les usages citoyens se développent davantage que les aspects politiques car ce sont des thèmes plus politiquement corrects, plus porteurs et faciles à réaliser. Nous avons déjà conçu, par exemple, des jeux sérieux pour sensibiliser les utilisateurs à une question écologique. Avec la startup Acceptables avenirs, nous avons ainsi réalisé un serious game sur la gestion des zones humides et leur préservation. Pour la mairie de Blagnac, nous avons imaginé un serious game où le joueur se met dans la peau d'un jardinier avec pour mission d'économiser de l'eau.

Au niveau des gouvernements, il existe seulement quelques exemples : un des premiers jeux sérieux historiques, American Army, servait à recruter dans l'armée américaine. Des expérimentations ont également été menées à faible échelle. Les utilisateurs étaient invités à gérer le budget d'une ville. Mais ces jeux ont surtout été utilisés en guise d'enquête d'opinion.

Peut-on imaginer ce que donnera la réalité virtuelle d'ici à 10 ans?
Dans les prochaines années, je pense qu'il n'y aura plus de distinction entre réalité virtuelle (construire des images de synthèses en 3D) et réalité augmentée (le fait d'ajouter une image de synthèse sur l'image réelle). On commence déjà à aller vers des réalités alternatives où les images de synthèse sont remplacées par des images réelles pour éviter d'avoir à les modéliser.

Imaginons un jeu de simulation pour apprendre le métier de mécanicien dans un garage ou sur un avion. Au lieu de reconstruire totalement un garage virtuel avec des images de synthèse (ce qui est très long et très coûteux), le garagiste ou le constructeur aéronautique pourra filmer avec son smartphone son propre atelier pour que les joueurs puissent apprendre dans des conditions réelles. Cela permet de personnaliser l'apprentissage. Ainsi, le joueur qui veut apprendre à réparer une pièce d'un moteur travaillera avec des images réelles d'une voiture, seule la pièce neuve sera intégrée à l'image réelle grâce à la 3D.

Chez Airbus à Nantes, les agents de production ou de maintenance sont équipés de tablettes et ont remplacé les plans papier par de la réalité augmentée. Ces outils ne sont pas encore très développés mais il est intéressant de remarquer que ce qui n'était qu'au stade du laboratoire de recherche il y a quelques années commence à être adopté par les entreprises.

Au-delà de ces usages professionnels, la réalité virtuelle peut-elle se démocratiser auprès du grand public ?
Les premiers casques de réalité virtuelle inventés dans les années 80 valaient un million de dollars, ils ne fonctionnaient pas très bien et très peu de jeux étaient disponibles. Dans les années 90, Nintendo a lancé un gant équipé de capteurs qui coûtait l'équivalent de 4 jeux vidéos classiques et seuls un ou deux jeux étaient disponibles pour ce gant. Acheter un casque ou un gant pour un seul jeu, ce n'est pas rentable, ce qui explique les échecs retentissants de certaines innovations. Mais le casque Oculus Rift de Facebook, qui doit être commercialisé en décembre prochain, pourrait rencontrer un large public. Il sera vendu seulement 300 dollars, une série de jeux sera disponible et n'importe quel nouvel jeu multi-écrans sera adapté à ce casque de réalité virtuelle. Le buzz sur internet autour de l'Oculus Rift peut créer aussi l'envie d'acheter chez les utilisateurs.

L'Irit

L'Institut de recherche en informatique de Toulouse (Irit) a été fondé en 1990 en partenariat avec l'Université Paul Sabatier, le CNRS, Polytechnique et l'université Toulouse 1 Capitole. L'établissement abrite environ 690 personnes, ce qui en fait le plus grand institut de recherche français en informatique.
Les recherches de l'Irit s'orientent aussi selon quatre axes stratégiques : informatique pour la santé et l'autonomie, masses de données et calcul, systèmes socio-techniques ambiants et enfin systèmes embarqués critiques.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.