Comment l'aéronautique et la santé partagent leurs technologies innovantes

Les transferts de technologie sont devenus une évidence pour les industriels de la santé et ceux de l'aéronautique. Les premiers y voient une façon d'améliorer leurs pratiques, les seconds une garantie de trouver de nouveaux marchés. Zoom sur les innovations les plus attendues.
Les transferts de technologies entre aéro et santé sont de plus en plus fréquents
Les transferts de technologies entre aéro et santé sont de plus en plus fréquents (Crédits : Rémi Benoit)

Les technologies de l'aéronautique permettront-elles de mieux nous soigner demain ? La question était au cœur du 2e forum dédié aux technologies innovantes en santé, organisé par le CHU de Toulouse le 12 janvier dernier. Objectif de cette journée qui a réunit un parterre d'industriels et de médecins : faire émerger des partenariats possibles et nécessaires entre le monde de l'industrie et celui de la santé. Le forum était donc l'occasion de faire rencontrer médecins et industriels afin que les premiers exposent leurs attentes et leurs besoins aux seconds.

"Ce concept qui semblait incongru il y a à peine quelques années, est aujourd'hui indispensable pour les soignants", estime le professeur Laurent Schmitt, président de la commission médicale d'établissement du CHU de Toulouse.

L'établissement de santé compte en particulier sur les technologies utilisées dans l'aéronautique pour faire progresser ses pratiques.

L'exemple D'Airbus et Carmat

Pour Gérard Ladier, détaché d'Airbus auprès du pôle Aérospace Valley, l'intérêt des passerelles entre aéronautique et santé sont une évidence depuis longtemps : 2009 exactement. "À cette époque je travaillais sur des méthodes de calcul pour des calculateurs embarqués et j'ai reçu un appel de Carmat (le fabricant de cœurs artificiels NDLR) qui voulait savoir comment nous faisions dans l'aéronautique pour que les logiciels ne tombent pas en panne. Nous avons fait à cette occasion du transfert de technologie et cela m'a mis la puce à l'oreille sur le fait que les technologies propres à l'aéronautique puissent intéresser d'autres secteurs. Aujourd'hui, à l'heure où Airbus vend beaucoup d'avions, mais n'a pas beaucoup de projets en R&D, c'est encore plus indispensable pour nous", décrit-il.

Depuis, le pôle Aérospace Valley a mis en place des "commissions marchés", dont une est dédiée spécifiquement au domaine de la santé. Objectif : trouver de nouveaux débouchés pour les acteurs de l'aéronautique. Un enjeu de taille quand on sait que le marché des dispositifs médicaux pèse à lui seul 10 milliards d'euros.

L'aéronautique et la silver économie

Pas question cependant de s'attaquer à ce sujet tout seul. Le pôle de compétitivité a donc choisi de s'associer au CHU (dans le cadre de la plateforme Edit qui, développée par le CHU et dédiée au déploiement de dispositifs innovants en santé, compterait déjà 39 projets en cours) et au pôle Cancer Bio Santé. Aerospace Valley a également confié à un groupe d'une vingtaine d'experts la mission de faire remonter les besoins en transferts de technologie.
La cardiologie, le handicap et la simulation sont les trois spécialités médicales fléchées par le CHU pour profiter de technologies propres à l'aéronautique.

"La navigation, la modélisation et la simulation, les matériaux, les interfaces hommes-machines et bien sûr les systèmes embarqués qui représentent 50 % des projets du pôle, sont des technologies transférables parfois très rapidement en santé", énumère Gérard Ladier.

Les exemples ne manquent pas. L'un des transferts les plus aboutis concerne la société Orme, basée à Labège, qui a mis au point des logiciels de signal image pour crashtest. L'entreprise a aussi développé un capteur infrarouge qui permet de détecter les chutes de personnes âgées dans les Ehpad.

Lire aussi : Objets connectés : comment la PME Orme passe de l'aéronautique à la silver économie

Les matériaux composites en santé

Autre secteur très prometteur, celui des matériaux composites. L'entreprise Nimitech Innovation, nominée aux Trophées de l'Aéronautique 2016 et basée à Bagnères-de-Bigorre dans les Hautes-Pyrénées, est initialement positionnée dans les secteurs de l'aéronautique et du spatial, mais réalise aujourd'hui 15 % de son activité dans la santé, en particulier dans la chirurgie du rachis. Elle compte doubler cette part rapidement.

"Dans cette spécialité médicale, le titane était habituellement utilisé pour opérer les déformations importantes de la colonne vertébrale. Un chirurgien toulousain nous a sollicités pour développer une solution innovante d'implant rachidien en carbone à matrice termo-plastique, car ce matériau -habituellement utilisé dans l'aéronautique- est plus résistant à l'effort du corps humain", décrit Sébastien Mistou, fondateur de la société.

Après Toulouse, le modèle mis au point par Nimitech pourrait être adopté par tous les chirurgiens spécialistes du rachi en France.

La simulation

D'autres pistes de collaboration se dessinent autour de la simulation. Un domaine qui est indispensable en aéronautique et dans lequel les attentes des médecins sont élevées. "Nous avons monté un groupe de travail sur l'utilisation de la simulation pour la formation des professionnels de santé, avec notamment un service de soins à domicile pour la gestion des médicaments", explique Gérard Ladier.

En matière de simulation pédagogique et chirurgicale, Olivier Deguine, professeur d'ORL et président de la délégation à la Recherche clinique et à l'innovation du CHU, a aussi des besoins très spécifiques.

"Conformément aux consignes de la haute autorité de santé (HAS), nous avons besoin de pièces anatomiques de synthèse avec des exigences très particulières en termes de densité, dureté et souplesse, afin que nos étudiants puissent s'entrainer à opérer dans des conditions proches du réel."

Pour optimiser la formation initiale en santé, les médecins espèrent aussi pouvoir s'appuyer à moyen terme sur des dispositifs d'intelligence artificielle. "Nous cherchons des industriels prêts à nous aider pour mettre en place des dispositifs d'enseignement virtuel avec des avatars et des serious game, pour mettre fin aux consultations en présence des étudiants si mal vécues par les patients."

Le modèle des big data en santé : un enjeu pour l'aéronautique

En matière de cardiologie, autre discipline prioritaire pour le CHU, le professeur Jérôme Roncalli, coordonnateur de l'institut de recherche Cardiomet, a des attentes sur des technologies faisant appel aux systèmes embarqués, si présents dans l'aéronautique et qui pourraient être adaptées à la santé.

"Nos attentes concernent notamment le développement de biocapteurs sous forme de valves intelligentes et connectées, qui, implantées de façon percutanée, permettraient un suivi plus fin des patients en insuffisance cardiaque. Notre objectif est d'identifier les laboratoires et les startups en pointe sur ces questions", décrit-il.

Quand l'aéro s'inspire de la santé

Les collaborations ne se font pas à sens unique. Ainsi l'utilisation des big data, déjà très prégnante en santé, a été identifiée comme un vrai enjeu pour les spécialistes de l'aéronautique afin d'optimiser notamment la maintenance des appareils et la phase d'atterrissage. "L'analyse des données de vols d'un avion permet de mesurer quel système risque de tomber en panne et donc de faire des préconisations de maintenance. De même, elle permettrait de détecter une phase dans laquelle le pilote se met en situation de faire un atterrissage trop long", décrit Gérard Ladier.

Autre exemple, la problématique de risque de désorientation spatiale des pilotes en vol. Airbus et le CHU travaillent déjà sur des projets de techniques de contrôle et d'assistance de la performance humaine. L'enjeu ? Détecter un pilote qui ne serait pas en forme et adapter les systèmes de pilotage de l'avion à l'état du pilote. L'aéronautique s'appuie pour cela sur la neurologie.

La plupart de ces transferts de technologie n'en sont qu'aux prémices, et ni le CHU ni le pôle Aerospace Valley ne sont aujourd'hui en mesure d'en évaluer les retombées économiques.

"C'est bien trop tôt et d'ailleurs l'un des freins au développement rapide de ces projets reste financier, car en effet nous ne disposons pas de budget dédié au pôle pour cette mission", pointe Gérard Ladier.

"Il n'est pas question pour nous de devenir un cluster ni un pôle santé, mais simplement de valoriser la technologie de nos adhérents vers d'autres technologies. Une diversification du marché qui est aussi un moyen de soutenir la supply chain et de la consolider dans les prochaines années."

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