Transition énergétique et big data, quel rapport ?

Quel rapport entre big data et consommation d'énergie ? La Toulousaine Marise Bafleur, directrice de recherche au Laas-CNRS, est une spécialiste de l'énergie, particulièrement de la gestion intelligente de l’énergie. Selon elle, le numérique - et surtout l’interprétation de la data - permettra de transformer notre consommation d’énergie. Entretien.
Les technologies numériques permettront de relever les défis de la transition énergétique.

Vous dirigez depuis 2015 l'axe stratégique "Synergy" au sein du laboratoire de recherche Laas-CNRS. Quels sont ses domaines d'actions ?

L'axe Synergy du laboratoire Laas-CNRS s'appuie sur les quatre champs disciplinaires du laboratoire (informatique, automatique, robotique, micro et nanosystèmes), afin de devenir un acteur majeur de la transition énergétique. Nos activités historiques dans le domaine de l'énergie avaient pour objectif premier de limiter les pertes de conversion. Cependant, suite à la pénétration de plus en plus forte des énergies renouvelables et leur impact sur le réseau électrique, il est essentiel pour une bonne qualité de ce réseau et pour son pilotage de savoir ce qu'il se passe en temps réel sur le réseau de distribution. Dans le cadre de cet axe de recherche, des chercheurs testent des technologies (matérielles et logicielles) pour améliorer les systèmes énergétiques.

Concrètement, comment menez-vous vos recherches ?

Nous testons l'ensemble de nos technologies sur un bâtiment nommé Adream. Il est composé de panneaux solaires, utilise la géothermie et se sert d'automates pour le contrôle du système d'éclairage ou encore du confort thermique. Toutes ces technologies nous permettent de récupérer une masse de données que nous analysons en vue d'améliorer les performances énergétiques du bâtiment. Nos recherches portent notamment sur les panneaux photovoltaïques et la gestion de l'intermittence (ils ne fonctionnent pas la nuit). Nous réfléchissons donc à la manière de stocker l'énergie lors de pics de production. L'objectif est de rendre notre bâtiment totalement autonome, ce qui n'est pas actuellement le cas. Aujourd'hui, il est simplement à énergie optimisée.

La transition énergétique passe-t-elle forcément par une transition numérique ?

La transition numérique aidera la transition énergétique, c'est une certitude. Aujourd'hui, quand nous appuyons sur un interrupteur, la lumière s'allume. Mais il ne faut pas oublier que derrière ce mécanisme basique se trouve une multitude de logiciels qui règlent la fréquence et la tension.
En cas de surproduction ou de surconsommation d'énergie, la fréquence et la tension peuvent varier. Cependant, le réseau ne peut subir de trop grandes variations si l'on veut garantir son bon fonctionnement. Les Smart Grids (ou réseaux électriques intelligents) deviennent alors essentiels puisqu'ils permettent de réguler le réseau de distribution d'électricité de manière intelligente. Néanmoins, leur efficacité devra être accrue. En effet, depuis quelques années, EDF n'est plus le seul producteur d'électricité. Les citoyens peuvent également produire de l'énergie depuis leur toit ou leur jardin, ce qui complexifie le mécanisme. Il devient donc nécessaire de connaître ce qui se passe en temps réel pour réagir de façon immédiate. De cette manière, les technologies numériques seront incontournables pour relever ces défis de la transition énergétique.

Selon l'Ademe, l'énergie dégagée par les data centers pourrait chauffer la moitié de l'Europe. Est-ce la seule solution d'innovation entre data et énergie ?

Non. Cependant, c'est l'une des pistes pour innover. Au sein de ces data centers se situent des circuits de refroidissement où l'eau qui les alimente (réchauffée par l'activité des ordinateurs) pourrait servir à chauffer des bâtiments. Cette innovation a notamment été choisie dans le cadre des nouveaux bâtiments qui vont éclore à Toulouse Aerospace. Le principe consiste à réutiliser la surproduction d'énergie créée qui serait sinon perdue.

L'exploitation de nos données personnelles permettra-t-elle d'améliorer la transition énergétique ?

Aujourd'hui, nous subissons déjà l'exploitation de nos données personnelles avec les GAFAT (Google, Amazon, Facebook, Apple, Twitter). Par exemple, lorsque nous ouvrons notre navigateur de recherche, on nous soumet des publicités immédiatement en lien avec ce que nous avons cherché précédemment. Nous sommes pistés.

En ce qui concerne l'énergie, nous souhaitons que les données soient plus personnalisables, qu'elles puissent nous dire comment réduire notre facture d'électricité. Il est donc nécessaire que les compteurs EDF soient plus intelligents, qu'ils puissent indiquer aux consommateurs le meilleur moment pour lancer une machine à laver, de ne pas chauffer une pièce inutilement... Notre objectif est d'obtenir des données plus quantitatives mais aussi qualitatives en termes de diagnostic et d'usage pour qu'elles puissent être utiles aux consommateurs. Pour atteindre ce but, nous cherchons à interpréter les données que nous récupérons. On parle de la sémantique des données.

Il est aujourd'hui difficile de stocker de l'énergie, notamment celle provenant de panneaux photovoltaïques. Parmi les solutions pour la stocker, il existe celle de l'utilisation des batteries des voitures électriques, cela vous semble pertinent ?

Les secteurs du transport et du bâtiment vont devenir très complémentaires avec l'arrivée du véhicule électrique. D'ici à 2050, la majorité des voitures seront électriques. Notre automobile, que nous brancherons au bâtiment pour la recharger, pourra devenir à la fois une charge pour le réseau électrique, mais également une zone pour stocker la surproduction d'énergie du bâtiment. On pourrait ainsi imaginer que le particulier utilise sa batterie de voiture plutôt que le réseau EDF pour faire fonctionner des appareils tels que la machine à laver.

Nous aurions alors un échange bidirectionnel, où notre véhicule servirait à stocker l'énergie produite par des panneaux solaires mais aussi à fournir ponctuellement un pic de consommation du bâtiment. Cependant, de nouvelles batteries sont en phase de recherche. Celles que nous utilisons actuellement vieillissent rapidement et leur coût est prohibitif. Les véhicules électriques permettront de stocker de l'énergie et de la réutiliser dans la mesure de l'autonomie dont le véhicule aura besoin. Mais cette énergie stockée ne sera pas suffisante pour tenir toute une nuit. Nous réfléchissons donc à la manière de piloter les batteries, de les recharger, mais aussi à leurs différentes hybridations pour mieux répondre aux pics de consommation et de production.

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