Observation des galaxies : les premiers résultats de "Muse" dévoilés à Toulouse

Développé depuis 2001, l'instrument européen d'observation astronomique Muse pourrait détrôner l'américain Hubble. Dans son viseur, des galaxies lointaines encore invisibles jusqu'à présent. Directeur de recherche au CNRS et concepteur de l'instrument, Roland Bacon est venu en présenter les premiers résultats "spectaculaires" à Toulouse, à l'occasion de la semaine de l'astrophysique française. Pour lui, ce nouvel instrument place l'Europe à la pointe de l'astrophysique. Interview.
Muse, ce spectrographe dernier cri, pèse 7 tonnes et observe les galaxies les plus lointaines

À quoi sert l'instrument Muse ?
Il sert à observer les objets célestes dans l'espace. Avant, les astronomes observaient les galaxies avec des imageurs, qui fournissent des images parfois en plusieurs couleurs. Ensuite, ils les analysaient avec des spectrographes (un appareil qui permet de décomposer la lumière, NDLR) pour déterminer ce qu'elles étaient vraiment. C'était un processus difficile et coûteux.

Dans les années 80, nous avons développé la spectrographie intégrale de champ, ou spectrographie 3D, qui allie l'image et la spectrographie. Le problème des premières générations d'instruments est qu'on ne pouvait observer que des objets brillants et des champs très petits. On restait dans le schéma où l'on découvre des objets avec des imageurs, pour ensuite les observer dans le détail avec des spectrographes.

En 2001, l'ESO (European Southern Observatory) a lancé un appel à idées pour développer une nouvelle génération d'instruments pour le Très grand télescope (VLT) situé au Chili dans le désert d'Atacama. Nous avons proposé un outil appelé Muse (Multi Unit Spectroscopic Explorer) qui a été accepté par l'ESO. Cet "explorateur spectroscopique à unités multiples" est doté de 24 spectrographes de champ intégral qui peuvent être utilisés pour acquérir, simultanément, des images et des spectres de régions étendues du ciel.

Pourquoi ce nom ?
Nous l'avons appelé Muse car l'astronomie est la seule science à en avoir une : Uranie. Cela se dit de la même façon en français et en anglais. C'est un nom bien choisi et inspirant.

Combien de temps a duré sa construction ?
De 2004 à 2013, Muse a été construit par un consortium européen dirigé par le Centre de recherche astrophysique de Lyon. Une centaine d'ingénieurs y a participé, dont certains de l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse. À l'automne 2013, l'instrument a été envoyé au Chili, où il a vu sa première étoile en janvier 2014. Mis en service à la mi-2014, il a coûté environ 20 millions d'euros au total.

MUSE

 Installation de Muse sur le site du Très grand télescope de l'ESO, au Chili. (crédit photo G. Hüdepohl_ESO)

Quels sont les premiers résultats ?
Ils sont spectaculaires ! Pour tester l'instrument, nous avons pointé Muse sur la Nébuleuse d'Orion, l'un des objets les plus proches du système solaire. Tout le monde connaît les images prises par le télescope spatial Hubble, où l'on voit du gaz chaud autour des étoiles.

Nébuleuse d'Orion

La Nébuleuse d'Orion observée par Hubble (crédit photo HUBBLE/NASA)

Pour comprendre ce qui se passe dans ces régions où se forment des étoiles jeunes, il faut les analyser avec la spectroscopie. Très peu de choses avaient été étudiées jusqu'à présent. En quelques heures d'observation, nous avons obtenu 2,5 millions de spectres. C'est 100 à 1000 fois plus que tout ce qui a été fait sur le sujet. Cela a ouvert une quantité d'informations qu'on commence juste à analyser. La communauté scientifique réalise que c'est possible, alors que tout le monde pensait que c'était impossible.

Du coup, nous avons aussi observé les Piliers de la création qui sont un peu le même genre de phénomène. Une autre image emblématique de Hubble.

Piliers de la création

Les Piliers de la création observés par Hubble (crédit photo NASA/ESA)

Grâce à Muse, nous avons déterminé la géométrie des Piliers, le détail de la physique du gaz. Nous avons même montré qu'ils sont en train de disparaître. On devrait donc plutôt les appeler Piliers de la destruction.

Muse permet aussi d'observer les très lointaines galaxies qui se situent peu de temps après le Big Bang, à 13 milliards d'années lumière. En août 2014, nous avons pointé le Champ profond de Hubble (une région située dans la constellation de la Grande Ourse du Toucan qui contient environ 3 000 galaxies de faible luminosité, NDLR), une zone pour laquelle les informations spectrographiques sont relativement pauvres.

En dix ans, seule une vingtaine de spectres a été mesurée et étudiée pour environ 500 objets détectés par Hubble. Après 25 heures d'observation, nous avons obtenu 200 spectres de galaxies, ce qui nous a permis de déterminer la distance des galaxies et leurs propriétés physiques. Nous avons aussi découvert 26 galaxies qui n'étaient pas visibles par Hubble. Que nous puissions, avec un instrument terrestre, dépasser ce télescope spatial et voir plus loin, cela a été une surprise pour beaucoup d'entre nous.

Muse va-t-il remplacer Hubble ?
C'est un instrument tout à fait complémentaire qui permet d'ouvrir de nouvelles perspectives. Quand on observe l'univers lointain, notre problème est qu'on ne voit que les galaxies les plus brillantes car on les voit de loin. Or, elles ne représentent pas du tout la population normale des galaxies. C'est comme si on regardait une foule et qu'on ne distinguait que les gens de plus de deux mètres. Cela donnerait une idée erronée de la population du monde.

La majeure partie de la masse de l'univers est formé d'un assemblage de petites galaxies qui sont à l'origine des galaxies comme la nôtre. Muse nous permet de faire avancer notre compréhension de leur formation et de leur évolution et de comprendre comment s'est formé l'univers.

Cet instrument constitue une avancée significative. Les Américains n'y ont pas cru et l'Europe est à la pointe dans ce domaine. Ils le reconnaissent et ils sont effarés, car ils ont 10 ans de retard.

Quelles sont les futures missions de Muse ?
Nous poursuivons nos observations sur le champ profond d'Hubble. Nous voulons aussi regarder l'environnement des quasars, les objets très lumineux qui peuvent être observés très loin, pour comprendre le milieu intergalactique, c'est-à-dire la façon dont les galaxies interagissent avec leur environnement. Et puis, la communauté scientifique va se saisir de Muse. Je fais confiance à leur créativité pour aborder des sujets que je n'ai pas imaginés.

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