COP21 : pour Bettina Laville, "les entreprises et la société civile ont un rôle à jouer"

À deux mois de la COP21, Bettina Laville, fondatrice du Comité 21 et présidente du Comité d'orientation scientifique du Club France développement durable, estime qu'un accord pourrait effectivement être signé lors de la conférence de Paris. Mais la membre du Conseil d'État, qui interviendra à Toulouse le 15 octobre lors du Forum Climat COP21, assure qu'en l'état actuel des choses, il sera impossible de contenir le réchauffement climatique à 2 degrés, mais plutôt à 3 voire 4 degrés. Interview.
Bettina Laville, fondatrice du Comité 21 et présidente du Comité d'orientation scientifique du Club France développement durable

La COP21 aura lieu à Paris dans moins de deux mois. Que peut-on attendre de ce rendez-vous ? Êtes-vous confiante quant à la signature d'un accord ?
Confiante, je ne dirais pas exactement cela. Je dirais plutôt vigilante sur les avancées. Je pense que le problème n'est plus de savoir si nous aurons un accord. Car je crois qu'il peut en effet y en avoir un. Le problème est : quel accord ? Il y a aujourd'hui un consensus international sur le fait de maintenir un objectif maximal de réchauffement climatique à 2 degrés. Il y a un point positif, c'est qu'à ce jour, plus de 80 pays ont déposé leur contribution à la lutte contre le réchauffement climatique. Il existe un mouvement général et c'est la première fois que les pays du Sud s'engagent à réduire leurs émissions dans le cadre d'un plan. Il y a aujourd'hui un consensus, un peu minimal, mais cela peut faire un accord.

Un accord suffisant ?
C'est la question fondamentale. Cet accord peut-il nous permettre de contenir le réchauffement climatique à 2 degrés ? La réponse est non. L'addition des contributions déposées jusqu'à présent nous mène à plus de 3 degrés, voire 4 degrés. Et il y a autre chose, dont personne ne parle : ce n'est pas parce que les pays déposent des contributions avec les meilleures intentions possible qu'ils feront réellement les efforts promis. Il faudrait pour cela qu'ils disposent des financements nécessaires et qu'ils ne subissent pas d'autres aléas, comme des catastrophes naturelles ou une crise économique, par exemple.

Par ailleurs, les pays ne parlent pas toujours exactement de la même chose...
En effet, pour le moment, les négociateurs emploient aussi bien dans les textes le mot "contraignant" que le mot "flexible". Et sur le mécanisme de vérification des baisses d'émissions, il n'y a pour le moment pas grand-chose de précis. Par ailleurs, pour l'instant, les différents pays qui ont déposé des contributions ont utilisé des méthodes de calcul extraordinairement différentes. On compare des choses qui ne sont pas vraiment comparables. Pour la COP22 ou la COP23, il faudrait homogénéiser la méthode. D'autre part, on entend des choses très contradictoires. Certains disent : ça ne fait rien qu'on ne soit pas à 2 degrés, puisque les chefs d'États se sont mis d'accord dimanche (27 septembre, NDLR) lors d'un déjeuner à l'Onu sur le fait qu'il y aura une révision des objectifs tous les cinq ans et que, peu à peu, la trajectoire nous mènerait aux 2 degrés. Je suis très interrogative là-dessus. Il n'y a pas tous les jours de grands rendez-vous comme celui-là, avec une telle mobilisation. Il faudrait obtenir le maximum de ce que l'on peut obtenir à Paris.

La France joue-t-elle un rôle suffisamment moteur ?
Dans les négociations elles-mêmes, il ne se passe pas grand-chose. La France a par conséquent décidé de multiplier les rencontres entre chefs d'États et les rendez-vous extérieurs à ces négociations. C'est une stratégie intelligente.

Vous percevez quelques signaux porteurs d'espoir du côté de la société civile...
En effet, c'est un mouvement très positif. Au-delà des États, la communauté humaine organisée prend les choses en main. Le monde religieux, qu'il s'agisse des grands représentants catholiques, musulmans, bouddhistes, ou autres, s'est engagé. Les choses avancent. D'autre part, nous constatons une mobilisation des ONG très différente de celle d'il y a dix ou vingt ans. Mais ce qui est finalement le plus important, c'est le rôle que jouent les entreprises.

Précisément, quelles innovations financières sont à inventer pour lutter contre le changement climatique ?
Certains financements innovants vont se développer. Je pense à la taxe sur les transactions financières qui pourrait être affectée notamment à la lutte contre le réchauffement climatique. Mais aussi à la réorientation des fonds d'investissement et à tous les mécanismes de prêts qui pourraient être conditionnés au financement d'actions décarbonées. Tous ces instruments pourraient contribuer à faire avancer les choses.

La contribution du secteur privé sera donc déterminante ?
Oui, je le pense. Mais il ne s'agit pas de donner de l'argent, mais de s'allier au secteur public, sous la forme de partenariats public-privé, afin de faire avancer les investissements "propres". Par ailleurs, le secteur privé pourra jouer un rôle très important dans l'adaptation au changement climatique. Car il faut savoir que même à 2 degrés, le changement des modes de vie va être énorme. Le secteur privé lui-même devra s'adapter. Et j'ai toujours considéré que les efforts d'adaptation devaient se situer au même niveau que ceux ciblés sur l'atténuation des effets du changement climatique. Accepter de s'adapter, ce n'est pas renoncer.

Sur quels leviers agir en priorité ?
Pour s'adapter, il faut évidemment revoir toutes les normes afin de tenir compte du réchauffement climatique. Il ne faut plus construire au bord de l'eau. Il faut, notamment dans les pays du Sud, renforcer les structures architecturales. Et surtout, il faut initier un processus d'adaptation socio-psychologique : il faut habituer les gens au fait que le réchauffement entraîne un mode de vie extrêmement différent.

La lutte contre le réchauffement climatique pourrait-elle permettre le développement d'une nouvelle filière économique, d'une nouvelle industrie en France ?
Oui. Je n'aime pas le mot "opportunité". On ne peut pas dire que le réchauffement climatique soit une "opportunité". Mais pour un pays comme le nôtre, c'est l'occasion de changer complètement de filières industrielles. Et pour les pays en développement, comme le Maroc, c'est l'occasion de "sauter" l'étape polluante de leur développement, en se tournant directement vers les énergies renouvelables. D'autres filières vont donc émerger sur le principe de la destruction créatrice. Beaucoup de secteurs vont être détruits, mais d'autres vont se développer. Mais les emplois créés, s'ils sont plus locaux, seront probablement moins nombreux.

Dans l'hypothèse où un accord est signé à Paris, quelles seront les prochaines étapes ?
À deux mois de la COP21, nous savons déjà que le plus important, ce sera la Conférence de Marrakech (la COP22 en 2016, NDLR). Et le Maroc en est conscient. Bien entendu, il serait démobilisateur de dire que Paris n'est qu'un commencement. Il faut que Paris engrange le plus de résultats possible. Car pour obtenir un accord opérationnel global en 2020, date de la fin de la seconde période des engagements de Kyoto, il ne reste que quatre années, pour que la dernière COP avant cette date ait réglé le mécanisme mondial...

Forum Climat COP21 le 15 octobre à Toulouse

Bettina Laville interviendra lors du Forum Climat COP21, organisé à Toulouse par La Tribune-Objectif News. Cet événement va rassembler 800 acteurs de la vie économique, scientifique et politique régionale le 15 octobre prochain, de 9 heures à 13 heures, aux Espaces Vanel de la médiathèque José Cabanis. Cette matinée de réflexion aura pour but de mobiliser l'ensemble des acteurs locaux sur les questions de transition énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique.

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