Les espaces de travail partagés sont-ils l'avenir des entreprises ?

Alors que les petits espaces de travail partagé se multiplient dans la région, l'heure est-elle venue de changer d'échelle ? À Toulouse, l'Okoïsystème et Autantyk vont déployer des espaces de plusieurs milliers de m2 pour attirer des startups et des entreprises de plus grande taille. Ces deux projets, qui se doublent d'une volonté affichée de changer les modes d'organisation des entreprises, représentent-ils l'avenir ? Les avis divergent.
L'espace de coworking At Home à Toulouse

De 2007 à 2015, le nombre d'espaces de travail partagé a centuplé dans le monde, passant de 75 à 7 600 l'an dernier. Nés pour répondre aux besoins des travailleurs indépendants, les espaces de coworking hébergent de plus en plus de startups et de jeunes entreprises, attirées par des modes d'organisation plus souples et moins onéreux que les modèles traditionnels. En 2014, l'étude menée par Bureaux à Partager et La Fonderie recensait 250 espaces en France. Pour la majorité d'entre eux, ils proposaient 50 postes de travail au maximum. Les espaces de grande taille, allant de 51 postes à plus de 100, à l'image de l'espace Darwin à Bordeaux, ne représentaient que 12 % de l'ensemble. Cette situation pourrait être en train de changer.

Deux projets d'envergure à Toulouse

À Toulouse, deux projets d'envergure sont sur les rails. Annoncé en février, l'Oïkosystème de Rémi Demersseman-Pradel ouvrira le 28 juin un local de 3 300 m2 (à terme) dans le quartier Saint-Aubin. En septembre, Patrick Thaunay, le fondateur d'Autantyk, devrait annoncer avec ses partenaires d'Artilect et de la Serre l'ouverture d'un lieu du même acabit au Multiple, dans le quartier Patte d'Oie.

Des deux côtés de la Garonne, une ambition identique : réunir dans les mêmes locaux des entreprises de toutes les tailles "pour changer la société". L'Oïkosystème veut en effet promouvoir la gouvernance partagée, tandis qu'Autantyk milite pour l'entreprise libérée.

"Ma conviction est que les lieux comme Autantyk ne seront pas à la marge à l'avenir", assure Patrick Thaunay, le fondateur du lieu. Sûr de son fait, l'ancien dirigeant de Novatis compte sur la crise économique et le coût de l'immobilier pour convaincre les indécis.

"Il y a, à Toulouse, 200 000 m2 de bureaux vide. Investir dans ses propres locaux en bord de rocade est une hérésie pour une entreprise, assène-t-il. Aujourd'hui, les PME sont pressurisées. Les marges baissent. Cela crée des tensions dans les entreprises que doivent supporter les salariés. Or, la génération YZ n'accepte pas les conditions de travail de ma génération. Il faut réinventer le lieu de travail, appliquer l'économie collaborative et du partage aux mondes des entreprises en mutualisant les locaux, les ressources et les expériences."

Même confiance en l'avenir pour Rémi Demersseman-Pradel. "La croissance du secteur prouve que le coworking est vraiment l'avenir de l'organisation des entreprises. Nous uberisons l'immobilier d'entreprises. Une grande société avec des succursales pourrait faire appel à nous pour louer quelques bureaux plutôt que d'investir dans ses locaux." Pour autant, l'entrepreneur souhaite se différencier des simples espaces de travail partagé.

"Le coworking n'est qu'un outil au service d'un projet politique assumé. Nous voulons changer le monde. C'est la démarche de notre fondation."

Doutes et limites

En l'espace d'un an et demi, Sébastien Hordeaux, fondateur d'Étincelle Coworking, a quant à lui ouvert trois sites au cœur de la Ville rose et un quatrième à Montauban. D'autres lieux sont en projet à Toulouse, Albi et Nantes. Signe, s'il en fallait, que le jeune homme croit dur comme fer à l'avenir des espaces partagés. "Il y a une forte demande étant donné les besoins d'interaction entre entreprises. L'avenir est à la porosité entre les entreprises", confirme-t-il.

Le fondateur d'Étincelle Coworking décèle cependant deux facteurs limitant la croissance de cette nouvelle forme d'organisation des entreprises : le prix du m2 et le poids culturel.

"Pour héberger des entreprises de 20-30 salariés, il faut un espace d'au moins 4 000 m2. Cela nécessite une certaine force de frappe capitalistique, constate-t-il. De plus, les locaux partagés sont encore considérés comme une solution bon marché. Une entreprise qui réussit doit avoir ses propres bureaux. Je connais de nombreux patrons de PME qui ne s'installeraient pas en espace partagé. Il y une barrière culturelle à franchir. Cela prend du temps."

Une barrière que ne semble pas près de franchir Alain Di Crescenzo, le président de la CCI Toulouse : "Au-delà de dix salariés, je ne suis pas convaincu par le coworking, car il est compliqué pour une PME de partager des stratégies", estime-t-il.

"C'est une bonne chose pour les petites entreprises en accélération qui ont besoin de proximité de compétences, de commandes et de financements. Ces espaces leur apportent de la motivation et des échanges. Mais, avec les outils modernes, on peut échanger sans partager les mêmes locaux. On pourrait aussi imaginer des zones d'entreprises partageant des services communs. L'important, c'est de créer des écosystèmes et de s'unir sur des projets mobilisateurs comme l'international par exemple."

"Ceux qui disent que les espaces de coworking ne marchent que pour les petites entreprises ne nous connaissent pas, répond Rémi Demersseman-Pradel. Il faut qu'Alain Di Crescenzo vienne nous visiter pour comprendre ce que nous faisons. Nous n'avons pas d'échelle de taille ou de durée dans les laboïkos. Un voyageur, un indépendant, une startup ou une entreprise de 15 salariés peuvent venir le temps qu'ils le souhaitent dans nos locaux. Il y a la place. À Saint-Aubin, il y aura l'école de journalisme, qui est une entreprise, et nous sommes en discussion pour accueillir un collectif d'entreprises sur 1 000 m2."

Pragmatique, l'ancien président du réseau de crèches la Part de rêve concède que son concept n'est pas généralisable aujourd'hui. "Il faut faire de la pédagogie, comme nous l'avons fait il y a 10 ans avec les crèches d'entreprises. Nous n'avons pas vocation à héberger toutes les entreprises, par manque de place, mais celles qui ne seront pas hébergées dans nos locaux pourront être touchées par notre message via des ateliers, des formations et des échanges. À terme, je pense vraiment que ce concept va se propager dans l'économie."

Une nouvelle forme d'économie ?

Partager l'espace, les ressources, la gouvernance ? Ces nouvelles formes d'organisation partagent de nombreux points communs avec l'économie sociale et solidaire.

"Les frontières sont ténues, analyse Gabriel Colletis, économiste à l'université Toulouse 1-Capitole. Il n'est pas évident de dire qu'il s'agit d'un quatrième secteur (après les secteurs public, privé et coopératif, NDLR) car on va y retrouver des éléments de capital privé et des logiques de coopératives. Il n'y a pas l'idée de mise en commun des biens comme dans une coopérative agricole, mais plutôt de partage et de réciprocité. La démarche est différente philosophiquement et économiquement. C'est l'idée selon laquelle j'apporte une ressource, une compétence, et tu en apportes d'autres. En les partageant, nous faisons des choses ensemble qu'on ne pourrait pas faire en restant dans son coin. Dans ces écosystèmes, les entreprises ne deviennent pas propriétaires du lieu."

Sauver le monde en changeant l'économie, l'ambition est louable mais sans doute exagérée. "Cette nouvelle forme d'organisation sociale, à la frontière du coopératif et du capital privé, est potentiellement très féconde et positive, mais je ne crois pas qu'elles vont sauver la planète et les relations humaines. Elles vont se développer dans des niches très particulières, relativise l'économiste. Il y a une nécessité de codification des normes, des règles et des valeurs. Ce monde doit prendre du recul sur lui-même pour voir ses facteurs de dangers, ses éléments régressifs, et au contraire ses éléments subversifs et émancipateurs."

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