Changement imminent d'actionnariat et de business model pour Latécoère. Interview de Frédéric Michelland

L’équipementier aéronautique Latécoère, basé à Toulouse, croule toujours sous le poids d’une dette de 320 millions d'euros, détenue par une quinzaine de créanciers parmi lesquels des fonds d’investissement étrangers. D’ici au 30 avril, une solution doit être trouvée pour recapitaliser le groupe et les principaux créanciers devraient devenir actionnaires du groupe. Parallèlement, fort de l’augmentation du chiffre d’affaires, le président du directoire Frédéric Michelland met en place une nouvelle stratégie et un changement de business model. Interview.
Frédéric Michelland, président du directoire de Latécoère, veut changer le business model de l'équipementier

Le groupe Latécoère est pénalisé par une dette de 320 millions d'euros. Qui sont ses créanciers ?
Aujourd'hui, la dette est entre les mains d'une quinzaine d'investisseurs, parmi lesquels les fonds Apolo Management, Monarch Alternative Capital et des fonds étrangers. Nous menons des discussions très régulières depuis le mois d'octobre avec un "working group" composé des 5 créanciers principaux, sous l'égide d'un mandataire ad hoc désigné par le tribunal de commerce, et d'un représentant du Ciri (Comité interministériel de restructuration industrielle). Nous nous voyons environ une fois par semaine, parfois plus. Les choses ont bien avancé ces dernières semaines et nous visons toujours l'annonce d'un accord possible d'ici au 30 avril prochain, accord qui sera ensuite soumis à l'approbation de nos actionnaires actuels.

Vous négociez avec vos créanciers pour qu'ils rentrent au capital du groupe ?
Oui. Les principaux créanciers devraient devenir les actionnaires de référence du groupe. En effet, ma priorité est de nous libérer de cette contrainte insupportable pour le groupe qu'est la dette et pour cela, il y a deux solutions : transformer une partie de la dette en capital d'une part, et un apport d'argent frais d'autre part. Il faut ramener la dette de Latécoère à un niveau qu'elle pourra supporter et lui redonner une trésorerie suffisante. Afin de réaliser cette opération, il faut trouver un accord qui réponde aux attentes des créanciers et qui permette à l'entreprise de pouvoir enfin réaliser le projet de redéploiement commercial et industriel dont elle à besoin. Nous avons franchi des étapes importantes dans nos discussions avec les créanciers, mais il reste des points importants à traiter.

Comment se structurera le nouvel actionnariat de Latécoère ?
Actuellement, l'actionnariat est composé des salariés, du fonds d'investissement Tikehau et de Swiss Life, chacun à hauteur de 4 à 8 %. Le reste du capital est très éclaté. Cet équilibre sera forcément modifié avec l'arrivée de nouveaux actionnaires de référence, notamment Apolo Management et Monarch Alternative Capital. Il ne s'agit pas d'une disparition des actionnaires actuels mais d'une dilution : les actionnaires pourront naturellement participer à l'augmentation de capital en numéraire s'ils le souhaitent, par l'exercice de leurs droits préférentiels de souscription.

Des fonds d'investissement étrangers vont ainsi devenir vos actionnaires principaux. Pensez-vous vraiment que les intérêts à long terme d'une entreprise industrielle et ceux de fonds d'investissements sont compatibles ?
Nous y travaillons. Je crois sincèrement que les enjeux du groupe sont compris et partagés par nos créanciers. Ce qui compte n'est pas l'origine des investisseurs mais leur engagement, en tant qu'actionnaires, à donner les moyens à une entreprise de se redéployer dans le temps pour adresser les enjeux stratégiques auxquels elle doit faire face. Les créanciers actuels du groupe sont des investisseurs avertis.                                                                                                
Pour vous, l'approche d'un accord représente-t-elle la fin du tunnel ?
Pour un dirigeant d'entreprise, il n'y a jamais de bout du tunnel... C'est à chaque fois une nouvelle page que l'on tourne. Aujourd'hui je suis particulièrement attaché à ce que l'on mette derrière nous cette période où la société était contrainte d'aller de renégociations en renégociations avec ses créanciers, rendant impossible tout projet que ce soit pour Latécoère. Je souhaite en 2015 pouvoir me concentrer sur la stratégie du groupe et sur l'adaptation de son business model.

Pourquoi souhaitez-vous changer le business model de Latécoère ?
Il faut faire évoluer le plus rapidement possible notre offre de produits et de services. Aujourd'hui nous sommes essentiellement un "assemblier", il y a donc une partie importante de la valeur ajoutée qui nous échappe, et le risque dans ce cas est de voir certaines de nos activités ou le contenu de nos prestations s'appauvrir. De plus, la demande de nos clients a évolué avec la fin de la période de lancement des nouveaux programmes.
Je souhaite donc construire d'autres facteurs différenciants, en passant d'un rôle d'assemblier à un rôle de fournisseur de "sous-système". Notre connaissance des structures, du câblage, de l'électronique ainsi que les activités d'équipements et de petits systèmes peuvent constituer un point de départ de cette nouvelle offre. Elle s'orientera vers des sous-systèmes plus intégrés, des sous-ensembles de structure plus complexes. Nous nous orientons en conséquence vers des offres "end to end" qui vont de la conception amont jusqu'à l'installation sur avion. Nos compétences en termes d'ingénierie, le recentrage de nos efforts de R&T, l'élargissement progressif de notre base de clients sont autant d'atouts qu'il faudra mettre au service de cette ambition.

Quels nouveaux clients visez-vous?
Nous allons élargir notre base de clients en la diversifiant. Si les avionneurs sont nos principaux clients, je souhaite que les motoristes, équipementiers et compagnies aériennes prennent une part plus importante dans notre portefeuille.

Le changement de business model passe-t-il par d'autres changements ?
Oui, des changements en interne dont devront se saisir le management et les équipes. Quand j'ai lancé le Plan Boost en février 2014, nous nous sommes heurtés à un certain scepticisme et particulièrement lorsque j'ai fait le choix de mettre l'ensemble de nos collaborateurs en situation de faire eux-mêmes leurs propositions pour améliorer notre exécution opérationnelle. Il a fallu réinjecter de la confiance collective, et inciter les salariés à s'impliquer. En acceptant les remises en question dont nous avions besoin d'un point de vue opérationnel, le groupe a fait la démonstration de sa capacité à se réformer. Nous devrons aller plus loin dans cette voie tout en s'assurant que les décisions nécessaires pour repositionner le groupe de manière pérenne soient comprises, et leur mise en œuvre gérée en fonction des besoins du business.

Une opération de croissance externe est-elle envisageable ?
Pour positionner Latécoère dans l'environnement concurrentiel de demain en tant que fournisseur de rang 1, il faudra nécessairement passer par l'acquisition de compétences complémentaires qui nous manquent aujourd'hui. Nous aurons besoin d'un accès renforcé à certains marchés, à des moyens industriels plus performants... Autant d'éléments qu'une alliance ou un partenariat capitalistique et /ou stratégique avec un ou plusieurs industriels pourrait contribuer à faciliter. Je précise qu'aucune discussion n'est engagée pour le moment. Il y a en Midi-Pyrénées de très belles entreprises, mais aussi ailleurs. La question des alliances ou partenariats sera forcément posée à un moment ou un autre.

En savoir plus :

En 2014, Latécoère a enregistré une hausse de son chiffre d'affaires de 6,9 % (à 664,1 M€), porté par la montée des cadences chez Airbus. Le portefeuille de commandes atteint 2,66 milliards d'euros (+3%). Le plan stratégique Boost, qui vise à améliorer la performance opérationnelle du groupe, présente des résultats « encourageants » : « De vrais résultats sont observés en termes de délais de livraison et de qualité des produits » affirme Frédéric Michelland, arrivé à la tête du groupe en 2013.

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Commentaire 1
à écrit le 08/04/2015 à 22:57
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L approche stratégique décrite dans cet article est tout a fait d actualité et doit s accompagner d une offre de valeur ou innovation et reduction de coût doivent être au cœur de la réflexion

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