Industrie : des relations "paralysantes" entre l'État et les grandes entreprises

L'avocat Olivier Fréget, spécialiste du droit de la concurrence, appelle à une refonte de la politique industrielle. Invité des premières Matinales de la Recherche de Toulouse Business School, il estime que la politique industrielle actuelle conforte les canards boiteux de l'économie sans permettre l'émergence de nouveaux acteurs économiques.

Auteur de La concurrence : une idée toujours neuve en France et en Europe (Odile Jacob), Olivier Fréget était le 29 juin l'invité des Matinales de la Recherche, un nouveau rendez-vous créé par Toulouse Business School et dont La Tribune est partenaire.

L'avocat, membre du think tank Le Club des Juristes, estime que la politique publique de soutien à l'industrie doit être repensée, de manière à ne plus conserver ou maintenir en vie des entreprises qui ne sont plus efficientes et qui ne sont plus en phase avec la demande.

Selon Olivier Fréget, spécialiste des questions liées à la concurrence :

"Le mal français ne s'explique pas par un manque d'intelligence, mais par une structure de marché qui bloque le renouvellement et la croissance des entreprises. La politique industrielle française émane du colbertisme, ce qui explique les liaisons incestueuses et désormais paralysantes entre les élites technocratiques et les élites managériales.

Nous nous fracassons depuis 20 ans sur cette conception interventionniste de la politique industrielle. En Allemagne, la politique industrielle est basée sur le principe que la concurrence opère le travail de sélection naturelle entre les entreprises aptes à croître (et qui doivent être encouragées) et celles qui ne rencontrent plus de demande (et qui sont amenées à disparaitre quitte à recombiner leurs moyens de productions pour la création de nouvelles entreprises).

Or, en France les cartels sont tous soutenus, à un moment ou un autre par l'État. Ils génèrent des rentes et bloquent l'émergence de nouveaux talents et de nouveaux acteurs économiques. Les abus de position dominante et l'absence de concurrence aboutissent à une société qui se referme sur elle-même.

Ne soyons pas caricaturaux, il est bien clair que le droit européen permet de déployer des aides publiques pour des services d'intérêt économique général. Dire le contraire relève du mensonge d'ailleurs délivré de manière constante par la classe politique et par les syndicats. Le droit européen demande 'juste' aux aides publiques d'être efficientes.

Et puis, il y a la question des droits spéciaux dont bénéficient toujours les pharmacies, les notaires, les charges des avocats au conseil, les taxis, les tarifs réglementés en matière d'électricité et de gaz, etc. Tous ces mécanismes, lorsqu'ils sont libéralisés, renouvellent l'économie et créent des entreprises et des empois. C'est une politique industrielle qui demande un certain courage politique."

Lors de ce rendez-vous consacré à la politique industrielle, Pierre-André Buigues, professeur de stratégie à TBS s'est également exprimé. Auteur avec Elie Cohen de Le décrochage industriel (Fayard), Pierre-André Buigues dresse un diagnostic sévère sur la compétitivité de l'industrie française et évoque même "le naufrage industriel français", la France ayant subi ces 15 dernières années une désindustrialisation plus rapide que les autres pays d'Europe.

"Contrairement à ce que soutient l'économiste toulousain Augustin Landier, il est grave de voir un pays en telle perte de vitesse sur le plan industriel, estime Pierre-André Buigues, car si vous perdez votre industrie, vous perdez mécaniquement votre recherche et développement, l'industrie représentant 80 % de la R&D. Les pays les plus riches en Europe sont aussi ceux qui ont l'industrie la plus puissante : l'Allemagne, la Suède, le Danemark. L'idée que la désindustrialisation soit naturelle et finalement pas si grave, est très nocive."

Pour le chercheur en économie, la France souffre d'un déficit de productivité lié à un problème de spécialisation industrielle (en dehors de l'aéronautique et du vin), de taille de ses entreprises (il y a autant de multinationales qu'en Allemagne, beaucoup de TPE mais pas suffisamment de grosses PME et d'ETI), d'insuffisance d'entreprises exportatrices et de qualité insuffisante des produits par rapport au coût du travail. La combinaison de ces facteurs explique le déclin industriel français, estime Pierre-André Buigues qui plaide pour "une réforme de la fiscalité et une réorientation des aides publiques qui vont beaucoup trop aux grands groupes et pas suffisamment aux PME."

"Faire dialoguer le monde la recherche et le monde économique"

Toulouse Business School est connue pour son enseignement, moins pour ses travaux de recherche. C'est la raison pour laquelle l'école lance les Matinales de la Recherche. "Nous cherchons à faire connaître du monde des entreprises les résultats des contributions intellectuelles de notre corps professoral, explique François Bonvalet, directeur de TBS. Ce n'était pas le cas il y a une vingtaine d'années mais désormais la recherche est consubstantielle à l'école. Dans tous les recrutements menés, nous demandons aux professeurs d'être à la fois excellents en enseignement mais aussi d'avoir des résultats et des potentiels en matière recherche."
Denis Lacoste directeur de la recherche de TBS, à l'origine du projet, veut "faire dialoguer le monde la recherche et le monde économique". Il pilote tbsearch.fr, le blog de la recherche de Toulouse Business School à destination des décideurs et des analystes.

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