Enquête sur la filière cinéma à Toulouse (2/2) : les subventions, le nerf de la guerre

Quand un film est tourné à Toulouse ou en région, les retombées économiques sont importantes : 9 millions d'euros en 2015 sur l'ex région Midi-Pyrénées. Mais trop peu de films sont tournés localement selon les professionnels qui voudraient rendre Toulouse plus attractive. Dans la seconde partie de cette enquête, découvrez pourquoi le fonctionnement d'attribution des subventions aux films est parfois jugé opaque, laissant cours aux rumeurs de "copinage". Par ailleurs, vous comprendrez pourquoi les tournages de films ne profitent pas forcément au tissu économique local et pourquoi les professionnels se battent pour créer une web télé de service public locale.
Colelction de bobines de la cinémthèque de Toulouse
Colelction de bobines de la cinémthèque de Toulouse (Crédits : Rémi Benoit)

Les subventions à la production, une polémique?

En Midi-Pyrénées, le fonds régional d'aide à la création audiovisuelle (qui bénéficie du concours du Centre National de la Cinématographie) a été conçu pour soutenir la création sous toutes ses formes (fiction, animation, documentaire) et à tous les stades de réalisation des projets (écriture, développement, production).

En 2015, 74 projets (sur 200 dossiers déposés) ont été accompagnés, majoritairement des documentaires et des films d'animation. C'est aux "comités-conseil" d'établir des choix dans l'attribution des subventions : le comité-conseil Fiction et Animation, et le comité-conseil Documentaire. Chacun de ces comités est composé d'une quinzaine de professionnels et experts du cinéma, qui se réunissent trois fois par an, à huit-clos.

Certains réalisateurs dénoncent l'opacité de ces réunions, soupçonnant même du "copinage" entre les membres du comité et certains porteurs de projet. La vice-présidente de la région en charge de la Culture, Dominique Salomon, balaye la critique d'un revers de main :

"Nous faisons très attention à la déontologie. Nous avons opéré un travail d'ouverture et de transparence de ces réunions. Par exemple, dernièrement, des étudiants du lycée des Arènes de Toulouse ont été invités à participer à ces comités pour voir comment cela se passe."

"Le système avait encore quelque chose d'artisanal au début des années 2000. Depuis 10 ans il s'est vraiment professionnalisé", confirme Natacha Laurent, ancienne directrice de la Cinémathèque de Toulouse.

Isabelle Dario, réalisatrice toulousaine, membre de l'association Midi Film et membre du comité, commente : "Il y a des centaines de dossiers et des fonds d'aides trop limités. Forcément il y a des déçus, et cela laisse la place à la frustration, au mécontentement. Néanmoins, il faut que le comité trouve l'équilibre entre subventionner les films d'auteur que certains jugent élitistes, que je qualifie plutôt d'ambitieux et subventionner du cinéma dit de divertissement, qui serait peut être plus facilement produit et diffusé par les télés car soi-disant plus facile d'accès. Tout est surtout question d'équilibre entre les critères retenus de qualité d'écriture audiovisuelle et de films parfois moins ambitieux mais qui permettent aux techniciens locaux de travailler."

Pour rappel, Midi-Pyrénées a été la première région de France, en 1985, à mettre en place un fonds d'aide à la création audiovisuelle. "Mais depuis, ce fonds n'a pas beaucoup évolué ! Il représente 1,4 million d'euros par an. En Poitou-Charentes, c'est trois fois plus" pointent Joël Attard et Henri Beulay dans l'ouvrage Clap sur Midi-Pyrénées.

À qui profite l'argent ?

Les retombées économiques locales sont un critère essentiel lors de l'attribution de subventions. Un film comme Le Bonheur est dans le Pré, réalisé par Étienne Chatiliez en 1995, a eu des répercutions économiques évidentes, avec un boom dans les locations de gites dans le Gers. "Il a offert au Gers la plus belle campagne de communication qu'un terroir peut espérer", analysent Joël Attard et Henri Beulay.

Pourtant, un film tourné sur le territoire n'a pas forcément les retombées économiques attendues. Car avant de la publicité, les acteurs locaux attendent d'un film qu'il fasse travailler les professionnels implantés localement. C'est là le grand drame de Philippe Payet. Sa société toulousaine, Papaye, fait figure d'incontournable dans la filière cinéma locale. Loueur de matériel pour les plateaux de tournages, elle a contribué à de nombreux films français de renommée. Mais pour Philippe Payet, de plus en plus de films tournés en Midi-Pyrénées font appel à des techniciens de Paris :

"Il y a un mépris total vis-à-vis du savoir-faire régional. Nous possédons en région tous les moyens techniques, les compétences, le savoir-faire pour répondre aux besoins des productions, quelle que soit leur importance ou la nature de leurs exigences. Or, la majorité des films se fait sans nous !".

Une série pour France Télévision, "Glacés", subventionnée par la région et tournée le mois dernier à Luchon, n'a en effet quasiment pas fait travailler de technicien de la région. Comment est-ce possible, alors que les retombées économiques locales dont un des critères d'attribution des subventions ? Pour Philippe Payet, l'argent est tout simplement mal utilisé :

"L'idée de la politique d'attribution des aides régionales est de subventionner les productions tout en garantissant des retombées économiques locales. Les producteurs se soumettent effectivement à cette obligation, mais à leur manière. Ils considèrent qu'étant donné qu'ils font marcher les hôteliers et les restaurateurs locaux, ils remplissent leur obligation de faire marcher l'économie locale. Cette donne incite aussi les producteurs à augmenter le nombre de techniciens venant de Paris puisque leurs hébergements sont éligibles".

"On constate en effet que le cinéma français est une puissance concentrée à Paris. C'est compliqué à faire bouger", regrette Natacha Laurent.

Philippe Payet suggère une gestion des fonds d'aide régionaux "plus cohérente", qui prendrait en compte l'embauche de personnel local. Côté Région la réponse est claire : pas question. "Nous nous gardons de toute forme d'ingérence dans le choix de tel technicien ou de tel prestataire, explique Dominique Salomon. Le contraire constituerait une discrimination à l'embauche au regard du droit européen. Cette question de l'emploi d'intermittents installés en Région ne peut donc pas faire partie de nos critères d'éligibilité mais représente un critère d'appréciation important, voire déterminant, dans la sélection des projets retenus (par les membres du comité-conseil)".

Conséquence directe de cet état de fait, un certain nombre de professionnels et d'étudiants quittent la région pour la capitale. "Beaucoup d'étudiants de l'ESAV sont désespérés de devoir émigrer vers Paris ou d'autres régions, mais ils ne trouvent pas de travail ici", déplore Isabelle Dario, de l'association de techniciens Midi Film.

Une télé locale, la solution ?

La réalisatrice, à l'instar de plusieurs producteurs ou techniciens de Midi-Pyrénées, estime que la solution pour faire vivre la filière locale se trouve sans doute dans la création d'une nouvelle télé locale. Pour rappel, la disparition de TLT il y a presque un an a donné un sérieux coup d'arrêt à la production de documentaires. "Ce qui intéressait tout particulièrement les réalisateurs et les techniciens locaux, c'était la Case Doc (la rubrique consacrée au documentaire, NDLR), qui était un cercle vertueux de production. Pour un euro investi dans Case Doc par TLT, les producteurs levaient jusqu'à 10 euros", se souvient-elle.

"TLT finançait environ 20 films par an et a permis à de jeunes auteurs et réalisateurs de faire leurs armes. Cet arrêt nous a fait très mal, d'autant plus que TLT faisait vivre une filière : un intermittent toulousain pouvait travailler 150 jours par an sur un film, cela représente un levier économique important", estime Pascal Bonnet, membre de l'Association des producteurs indépendants audiovisuels de Midi-Pyrénées.

Aujourd'hui, quel media pour remplacer TLT ? "On attend que quelque chose soit réinventé et on aimerait y participer. Il ne faut pas enterrer la télé hertzienne mais les nouveaux usages et technologies permettent de faire des choses formidables. La plateforme d'Arte par exemple nous montre que ça marche. Le replay est une richesse incroyable pour l'usager", assure Isabelle Dario, qui a d'ores et déjà pris contact avec ses homologues de Languedoc-Roussillon pour mener une réflexion commune.

Les associations de professionnels Midi Film, Real et Film Languedoc appellent de leurs vœux "la création d'un service public régional de télévision indépendante" et suggèrent la mise en place d'une web télé, "la solution la plus économe et aisée à mettre en œuvre" :

"Elle pourra collaborer, co-produire et construire des partenariats avec les acteurs existants ou à venir, privés ou publics. Au-delà de cette mission en destination de la profession et pour co-produire des films, ce diffuseur pourrait soutenir et participer à l'émergence de nouveaux auteurs et de nouvelles écritures, il pourrait également être au cœur d'un réseau de diffusion en salles et auprès des médiathèques et des lycées de la Région".

Une délégation du CSA était d'ailleurs à Toulouse ce vendredi 22 avril (dans la plus grande discrétion) pour évoquer la possibilité d'un média régional.

Autre piste de réflexion pour améliorer la compétitivité du secteur : structurer la filière en région.

"L'émiettement de la filière est la grande fragilité de ce secteur" estime Natacha Laurent."Les initiatives restent cloisonnées. Il faut dire que l'économie du cinéma est compliquée et que tout le monde n'y a pas les mêmes intérêts : c'est un art et une industrie à la fois. Qui mieux que le politique peut donner l'impulsion ?"

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