Les barrages de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées vont-ils être privatisés ?

Dans la région, la puissance hydroélectrique représente 5 400 mégawatts, soit environ l'équivalent de deux centrales nucléaires de Golfech. Propriétés de l'État, centrales et barrages sont répartis en 132 concessions gérées principalement par EDF. Une situation de quasi-monopole que critique la Commission européenne. État des lieux.
Le barrage de Gnioure en Haute-Ariège

"Vous avez dit que cette région avait les meilleurs avions et les meilleurs vins du monde. Sachez qu'ici il y a aussi les meilleurs barrages." Début mars, après l'élection de Carole Delga à la présidence de l'agence économique Madeeli, Franck Darthou, directeur de l'unité de production Sud-Ouest d'EDF, ne tarissait pas d'éloges sur le potentiel hydroélectrique du Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Et pour cause, sur les 400 centrales de plus de 4,5 mégawatts du parc français, plus d'une centaine sont réparties entre la chaîne pyrénéenne et les bassins du Tarn et du Lot.

Deuxième source d'électricité derrière le nucléaire, l'énergie hydroélectrique produit un peu plus de 12 % de l'électricité française. Propriétés de l'État, les barrages et centrales sont gérés par divers opérateurs dans le cadre de concessions ou d'autorisation de l'État. Ces concessions de 62 ans en moyenne sont exploitées à 80 % par EDF, à 16 % par deux autres acteurs historiques : la Société hydroélectrique du Midi (Shem) et la Compagnie nationale du Rhône (CNR), toutes deux filiales de GDF Suez (Engie). Les 4 % restants sont gérés par des indépendants.

EDF, premier concessionnaire hydroélectrique

En Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, la proportion est la même. Les 132 concessions représentent une puissance hydraulique de 5 400 mégawatts environ. EDF exploite 89 concessions, soit 111 barrages et 78 centrales. La Shem gère 12 concessions. En dehors de ces deux acteurs, 31 autres concessions sont attribuées à des sociétés qui, pour la plupart, n'ont qu'une seule concession. La puissance cumulée de ces dernières représente près de 120 mégawatts.

Renouvellement des concessions

Établi en 1919, le cadre législatif a beaucoup évolué depuis. En 2006, le droit de préférence au concessionnaire sortant est supprimé. En 2010, la libéralisation du marché de l'électricité impose une mise en concurrence des contrats arrivant à échéance. Cette année-là, Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'Écologie, annonce l'intention du gouvernement de libéraliser le secteur hydroélectrique. Une compensation selon certains observateurs du marché car en contrepartie, la France garde la main sur le secteur énergétique, notamment nucléaire, et ce, contrairement à de nombreux pays européens.

Depuis lors, les choses traînent. Pour la seule région Occitanie, sept concessions représentant une puissance installée de 800 mégawatts sont échues depuis la fin 2012.

  • Pour EDF : celles de Brommat et de Sarrans-Bousquet, dans la vallée de la Truyère.
  • Pour la Shem : celles de Thues, d'Olette, de Cassagne/Fontpedrouse et des Bouillouses, dans la vallée de la Têt ; celle de Lassoula-Tramezaygues dans la vallée du Louron.

Trois autres le seront d'ici à fin 2017. Six d'ici à fin 2020 et 43 de plus fin 2030. Les 73 autres concessions ont des échéances échelonnées entre 2031 et 2065. À l'échelle nationale, 150 contrats échoient d'ici à 2023.

Votée en août 2015, la loi de Transition énergétique doit permettre de régler la situation, mais aucun calendrier n'a encore été transmis aux différents acteurs du marché. "70 % de notre parc dans le Sud-Ouest est concerné par ce renouvellement des concessions, mais nous attendons le calendrier", ne peut que constater Pierre Chambon, le directeur général de la Shem.

D'après une porte-parole du ministère du Développement durable, les concessions seront renouvelées dès l'application de la loi de Transition énergétique dont les textes d'application sont examinés par le Conseil d'État.

"Les meilleurs projets énergétiques et environnementaux seront sélectionnés par une mise en concurrence des opérateurs industriels, indique le ministère. Il y aura soit des renouvellements avec possibilité de sociétés d'économie mixte associant des opérateurs, des collectivités locales et l'État, soit des regroupements de concessions par vallée pour assurer une gestion cohérente." Fixée à la signature des contrats, la durée des futures concessions dépendra, selon le ministère "de l'importance des investissements à réaliser pendant la période de concession".

Par ailleurs, selon le ministère du Développement durable, une trentaine de concessions dites "autorisables" ne seront pas renouvelées car leur puissance est inférieure au seuil de 4,5 MW. À l'échéance de la concession, elles basculeront sous le régime d'autorisation, seront déclassées du domaine public et rachetées par des tiers, comme la loi le prévoit.

La loi permet également de prolonger les concessions lorsque des investissements importants sont réalisés "et dans le respect du droit européen des concessions", précise le ministère. Ségolène Royal, la ministre du Développement durable, est d'ailleurs décidée à user de ce dispositif pour maintenir les concessions dans leur situation actuelle. "Chaque fois que je pourrai prolonger des concessions dans le cadre des règles existantes, je le ferai", a-t-elle ainsi déclaré devant des sénateurs en juillet 2015.

La Commission européenne s'en mêle

Une position qui a alarmé la Commission européenne. Le 22 octobre 2015, celle-ci a adressé à la France une lettre de mise en demeure pour lui annoncer que "la position monopolistique d'EDF était incompatible avec l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'UE et qu'une enquête était ouverte", comme le reconnaît le ministère du Développement durable. Le 24 décembre, le gouvernement a répondu à la commissaire européenne Margrethe Vestager pour contester les arguments de la Commission européenne.

"Le gouvernement a contesté le fait que l'attribution des concessions hydroélectriques à EDF conduise l'entreprise à être en situation de commettre des abus de position dominante sur les marchés de l'électricité", affirme le ministère du Développement durable.

Et de préciser que "le gouvernement a rappelé l'attachement de la France au contrôle public de la gestion de l'eau, à l'accélération du développement des énergies renouvelables, notamment l'hydroélectricité, à la sécurité d'approvisionnement en électricité, à la sûreté des barrages, à la sécurité des personnes et, enfin, à l'ancrage territorial des concessions, qui contribuent au développement économique local avec le maintien des compétences et des emplois dans les barrages et les usines". Autant de raisons qui, selon le gouvernement, "justifie pleinement les délais de réflexion et de préparation des renouvellements des concessions hydroélectriques".

Depuis lors, les négociations se poursuivent et rien n'en filtre. À Bruxelles, le service de presse de la Commission européenne se borne à préciser que "l'analyse est toujours en cours" et que "la Commission n'a pas de délais spécifiques pour se prononcer en matière antitrust".

Inquiétudes pour l'emploi

Pendant la campagne régionale, écologistes et souverainistes s'étaient alarmés d'une éventuelle privatisation des barrages. Une crainte partagée par Jean-Louis Chauzy, le président du Ceser de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. "Ces ouvrages constituent pour EDF, pour l'État et notre pays 'les bijoux de la couronne', a-t-il écrit dans une lettre adressée en décembre à François Hollande. Les équipements hydroélectriques ont été payés par les contribuables. Ils doivent rester dans le périmètre du service public de l'énergie."

En outre, l'attribution de certaines concessions à des opérateurs étrangers affaibliraient la position mondiale d'EDF. "C'est l'un des quatre hydroélectriciens mondiaux. L'État doit garder le contrôle de ce secteur. C'est une question de souveraineté et cela rapporte de l'argent", insiste Jean-Louis Chauzy.

Les revenus issus de la vente de l'électricité par EDF et perçus par l'État en tant qu'actionnaire à 84,5 % de l'énergéticien seront-ils compensés à la même hauteur si de nouveaux acteurs privés captent ces concessions ? "Ces revenus seront perçus au travers d'une redevance proportionnelle aux recettes de la concession, dont le taux résultera de la mise en concurrence des différents candidats, explique le ministère du Développement durable. Cette redevance sera partagée en parts égales entre l'État et les collectivités."

EDF

Banderole sur une centrale hydro-électrique en Ariège © Gael Cérez.

Reste la question épineuse de l'impact d'un changement de concessionnaire sur l'emploi. Rien que pour EDF, 1 000 personnes travaillent dans la région dans le secteur hydroélectrique. "Le statut de ces salariés n'est pas transposable. Ils seront donc remplacés par d'autres personnes si le concessionnaire devait changer, s'alarme Jean-Louis Chauzy. De plus, cela représente deux fois plus d'emplois indirect et les processus de sous-traitance seront remis en cause." Sur ce point, la loi de Transition énergétique devrait rassurer les inquiétudes. D'après le gouvernement, "elle impose le maintien du statut des industries électriques et gazières et la reprise des salariés lors des renouvellements des concessions".

Contacté à de nombreuses reprises, EDF n'a pas souhaité s'exprimer sur la question.

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