Toulouse, capitale européenne du spatial à l’heure du New Space

Les acteurs historiques du spatial sont bousculés par l’émergence des entreprises privées à l’image de SpaceX, Blue Origin ou Virgin Galactic. Face à la révolution du New Space, quelles sont les stratégies du Cnes, de Thales Alenia Space ou d’Airbus Defence & Space ? Comment Toulouse s’adapte à ce changement de modèle ? À l'occasion du Toulouse Space Show qui commence le 28 juin, focus sur un secteur en pleine reconstruction et qui échappe à la crise.
Face à la révolution du New Space, quelles sont les stratégies du Cnes, de Thales Alenia Space ou d’Airbus Defence & Space ?

L'image a fait le tour des télévisions et des sites d'information du monde entier. Le 8 avril dernier, l'opérateur privé américain SpaceX récupérait en mer son lanceur Falcon 9 quasiment intact. Dix minutes après le lancement, le premier étage de la fusée se posait sur une barge, à 200 km des côtes américaines. Falcon 9 prouvait ainsi qu'un lanceur pourrait être réutilisé à moindre frais contrairement aux lanceurs de type Soyouz ou Ariane.

Cette mini-révolution illustre l'importance nouvelle prise par les acteurs privés dans le secteur du spatial. Dès septembre 2014, la société de l'entrepreneur multimilliardaire Elon Musk était choisie par la Nasa pour transporter du fret vers la Station spatiale internationale (ISS) et la prouesse qu'elle a réalisée pourrait réduire les coûts des vols spatiaux par cent, permettant ainsi de multiplier les missions.

Comme SpaceX, plus de 1 000 entreprises, pour la plupart américaines, ont investi récemment le secteur de l'espace et bouleversent les codes. C'est l'émergence d'un nouveau modèle baptisé New Space, portée par des milliardaires aux rêves infinis et par la volonté de la Nasa de baisser les coûts d'accès à l'espace. Les géants Google et Amazon sont particulièrement intéressés par ce nouveau secteur, Jeff Bezos, le PDG d'Amazon, ayant notamment fondé Blue Origin.

Le New Space, vieux concept né dans les années 80, renaît aujourd'hui pour désigner l'ensemble des secteurs du spatial, et pas seulement la propulsion et les infrastructures. L'observation de la Terre, les communications, la capture des débris spatiaux, les vols habités et d'autres domaines encore sont concernés par l'arrivée d'acteurs privés qui veulent révolutionner le marché. Ces nouvelles sociétés rêvent ainsi de fabriquer des lanceurs réutilisables, d'envoyer des touristes dans l'espace ou de filmer n'importe quel point de la Terre en haute définition.

"Pour moi, le New Space est une évolution rapide, voire une révolution, analyse Lionel Suchet, directeur Innovation, applications et science au Cnes. C'est clairement un changement d'ère."

"L'uberisation a commencé"

Pourtant relativement récent, le secteur spatial a vu son modèle économique évoluer en quelques années. "Dans le domaine spatial, les États étant de plus en plus timides sur le plan des financements, on voit arriver des mécènes, des entrepreneurs comme Elon Musk", explique Lucien Rapp, président de la chaire Sirius. Cette première chaire internationale de recherche dédiée au droit et au management des activités du secteur spatial a été lancée à Toulouse en 2014.  Et ce n'est pas un hasard :

"On assistait à un basculement d'un secteur basé sur le financement par des États à un secteur qui doit composer avec le marché. Il y avait également un besoin de renforcer les compétences dans les sciences sociales, notamment en droit et en management", développe-t-il.

Car c'est bien cela que l'on observe en creux. Le secteur du spatial, longtemps réservé à des acteurs spécialisés, s'ouvre désormais à de nouveaux secteurs et à la concurrence. Un changement de modèle comparable au bouleversement connu par le marché des télécoms il y a 20 ans, qui a permis l'émergence d'acteurs comme Free, entraînant des innovations et une baisse des prix. "À mon sens, nous sommes à un tournant, un moment crucial pour les modèles de l'industrie spatiale, poursuit le président de la chaire Sirius Lucien Rapp. Tous les nouveaux investisseurs viennent du numérique, l'uberisation a commencé."

L'arrivée de ces nouveaux acteurs et l'ouverture du marché du spatial est en grande partie portée par l'explosion des services et des applications liées aux données spatiales. "Le spatial s'ouvre de plus en plus à l'homme de la rue et au quotidien. J'irai même jusqu'à dire que toute activité humaine à laquelle on peut penser utilise ou utilisera très prochainement des données spatiales", amplifie Lionel Suchet pour démontrer l'importance de ces nouveaux débouchés. Des services bien connus comme la météo ou le GPS mais aussi la gestion des ressources halieutiques, le contrôle de la pollution ou encore l'aide à l'agriculture.

"Pendant longtemps, le spatial a été jugé comme un domaine de haute technologie, qui effrayait un peu tout le monde, développe Agnès Paillard, présidente du pôle Aerospace Valley. Aujourd'hui, la donnée spatiale se démocratise."

Un changement que Jean-Pierre Vialaneix, directeur du site toulousain de Thales Alenia Space, souhaite tempérer : "On observe une accélération des besoins en termes de performance et de compétitivité. Mais on ne peut pas dire qu'il y a une rupture complète." Il vit ce mouvement sur le marché des satellites de télécommunications depuis plusieurs années. Cette évolution oblige cependant à un changement de modèle économique avec une obligation de baisser les coûts des systèmes, des services... Pour cela, les groupes du spatial doivent aujourd'hui être capables de développer des satellites de façon compétitive, en privilégiant des constellations. Le lanceur, élément très coûteux, est lui aussi concerné par cette évolution des modèles, d'où l'émergence d'acteurs médiatiques comme SpaceX ou Blue Origin.

Vers une recomposition du secteur spatial

Ce changement de paradigme oblige le secteur spatial à se recomposer. Les acteurs existants sont poussés vers la fusion, comme l'illustre la naissance, il y a un peu plus d'un an, d'Airbus Safran Launchers (ASL), dans le domaine des lanceurs. Société intégrée qui regroupe les activités lanceurs, les actifs industriels et les lanceurs militaires, cette joint-venture pilote ainsi le projet Ariane 6 avec pour objectif de diviser les coûts de production par deux. Avec ce regroupement, on pourrait revivre, à une moindre échelle, "le match Airbus/Boeing, cette fois entre Airbus Safran Launchers et SpaceX", anticipe Lucien Rapp. Pour répondre aux nouvelles ambitions de constellations de satellites, Airbus Space Systems s'est par ailleurs allié à l'américain OneWeb et lui construira près de 900 satellites pour l'internet à haut débit.

De son côté, Thales Alenia Space, autre acteur d'envergure présent à Toulouse, semble avoir anticipé cette évolution.

"Depuis des années, nous avons adopté une logique de petits satellites, performants, flexibles et pas chers, assure Jean-Pierre Vialaneix. Le référentiel n'était plus à même de répondre aux usages."

Les résultats exceptionnels du groupe, qui a enregistré plus de 3 milliards d'euros de commandes en 2015, sont pour lui "la consécration de tout le travail opéré dans la révision des produits et des process pour baisser les coûts de développement et de réalisation". Les grands industriels ont déjà réagi au New Space, mais ils doivent, avec l'aide des principaux acteurs, entraîner tout l'écosystème régional pour permettre à Toulouse de conserver sa place de capitale européenne du spatial.

pour l'encadré

Qu'est-ce que le New Space ?

Souvent réduit aux nouveaux acteurs qui révolutionnent le secteur des lanceurs, avec SpaceX et Blue Origin notamment, le New Space regroupe des centaines d'entreprises qui remettent en cause les modèles économiques du secteur spatial et ouvrent ce marché à la concurrence. Un mouvement déjà entamé dans le domaine des satellites de télécommunications mais qui va concerner rapidement l'observation, les sciences et toutes les applications issues des données spatiales. "Ce New Space est lié à cette démarche globale qui nous amène vers le monde du privé, des services, et de la compétitivité à tous crins. C'est une ouverture très intéressante et très importante pour le monde du spatial", analyse Lionel Suchet, directeur Innovation, applications et science au Cnes. Une (r)évolution, partie des États-Unis et d'un changement de stratégie de la Nasa, qui oblige les acteurs historiques à s'allier à des sociétés issues d'autres secteurs et à revoir leur mode de production.

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