Grippe aviaire : petits exploitants et grands groupes inégaux face à la crise

L'épizootie d'influenza aviaire met à mal toute la filière foie gras, soumise à un vide sanitaire inédit. On s'attend au final 4 à 5 mois d'arrêt de la production. À cela vont s'ajouter de nouvelles règles de biosécurité plus sévères. Les petits éleveurs devraient être cependant épargnés par ces mesures, selon un arrêté à paraître cette semaine. Quoi qu'il en soit, petits et gros producteurs se préparent : chômage technique, hausse des tarifs et déstockage vont être mis en œuvre.

Les producteurs traditionnels de foie gras du Sud-Ouest craignent de payer cher le coût de la crise d'influenza aviaire. Une des raisons : un durcissement à venir des règles de biosécurité. En raison de l'épizootie, des nouvelles mesures sanitaires seront très prochainement exigées pour éviter un retour de la maladie (zones de désinfection supplémentaires dans le parcours d'élevage, aire bétonnée à l'entrée des exploitations, etc.).

Néanmoins, pressé par les petits éleveurs qui jugent ces mesures peu compatibles avec leurs modes de production, le ministère de l'Agriculture les a entendus au cours d'une réunion la semaine dernière. Il devrait leur accorder un traitement de faveur dans la crise, en plus du plan de 130 millions d'euros décidé pour l'ensemble de la filière. En effet, d'après un arrêté à paraître cette semaine, les petites productions fermières et les éleveurs de canards Label Rouge (haut niveau de qualité) pourraient échapper à ces règles de biosécurité pendant plusieurs années alors que le reste de la filière devra s'y conformer.

Les petits éleveurs seraient donc soulagés d'investissements lourds à réaliser. Un coup de pouce bien venu pour des exploitations qui vont être durement touchées.

"Avec le vide sanitaire impliquant une baisse de production et les nouvelles mesures de biosécurité demandées, la filière traditionnelle était en danger. Cette décision nous offrirait du répit grâce à une dérogation de quelques années aux nouvelles règles de biosécurité", explique Christophe Mesplède, président du Modef, syndicat des exploitants familiaux des Landes.

Pour les autres éleveurs (ceux qui ne sont pas labellisés Label Rouge ou production fermière), une enveloppe de 220 millions d'euros est prévue pour accompagner les investissements liés au plan de biosécurité. Elle s'ajoute à un plan d'urgence de 130 millions d'euros pour compenser les pertes de revenus directs. 25 millions iront aux éleveurs dont les canards sont infectés, 40 millions aux accouveurs et plus de 60 millions pour le reste des producteurs.

Un vide sanitaire inédit

Cette manne financière doit venir tempérer les effets de mesures sanitaires très contraignantes. En effet, afin d'enrayer l'épizootie, les autorités ont imposé depuis le 18 janvier un dépeuplement progressif des élevages. Plus aucun caneton ne pouvant rentrer, les élevages se vident au fur et à mesure que les canards et oies partent à l'abattage, jusqu'au vide sanitaire complet le 18 avril, pendant un mois.

Car la situation inquiète. 70 foyers de contamination du virus animal influenza aviaire ont été détectés dans le Sud-Ouest. Cette maladie sans danger pour l'homme mais aussi pour les canards (la plupart sont des porteurs sains) présente un risque pour les volailles ou les élevages de porc. 18 départements sont mis sous contrôle sanitaire dans les territoires aquitain et midi-pyrénéen ainsi qu'en Corrèze, Haute-Vienne et dans certaines communes de l'Aude, du Cantal et de Charente.

Mais, face à cette épizootie, inédite par son ampleur pour la filière canard et par sa réponse sanitaire radicale, les exploitants familiaux et en circuit court sont moins bien armés pour installer le vide sanitaire et remettre rapidement sur pied la production.

L'élevage traditionnel en sursis ?

En effet, pour éviter la propagation de maladies comme l'influenza aviaire, les exploitations industrielles pratiquent l'élevage en bande unique : seuls les poussins d'une même catégorie d'âge rentrent dans l'exploitation et partent en même temps, une fois matures, vers des sites de gavage puis d'abattage. Entre chaque cycle, les bâtiments sont vidés et nettoyés.

En revanche, les fermes traditionnelles qui comptent beaucoup moins d'animaux, élèvent des canards de tous âges et les renouvellent de façon continue. Une méthode de production familiale qui constitue l'image d'Épinal de la production de foie gras et du Sud-Ouest mais qui pourrait être en sursis.

"Sur le plus long terme, on peut craindre que l'ensemble de la filière tende vers des processus industriels, à bandes uniques", s'inquiète Josian Palach, secrétaire national pour l'élevage à la Confédération Paysanne.

La filière courte a du plomb dans l'aile

À plus court terme, les éleveurs en bandes multiples craignent de voir les revenus chuter sévèrement. La production se faisant habituellement tout au long de l'année pour les producteurs indépendants, elle risque de tarir rapidement et mettre du temps à retrouver ses niveaux habituels. Après le 15 mai, l'élevage de canards pourra reprendre mais le temps d'élevage, gavage, abattage, conserverie et distribution va entraîner un manque à gagner d'environ 4 à 5 mois de production, jusqu'à début septembre.

"Les exploitants pratiquant la conduite en bandes multiples vont subir un décalage de production plus important. Étant à la fois éleveurs, gaveurs et abatteurs sur le même site, ils vont avoir plus de mal à redémarrer", souligne Josian Palach, de la Confédération Paysanne.

Ainsi, dans les exploitations traditionnelles qui réalisent l'ensemble du cycle de production, les pertes vont atteindre 30 à 50 euros par canard non vendu, d'après les calculs du syndicat agricole Modef dans les Landes. Pour les ateliers où l'on pratique à la fois élevage et le gavage, les pertes représentent 9 euros par tête. Chez les éleveurs simples, elles seront de 1,90 euro par animal.

De quoi faire s'étrangler Norbert Joyeux, éleveur indépendant de canards à Reilhac (Lot) :

"Nous allons essuyer une perte sèche d'environ 450 000 euros pour 900 000 euros de chiffre d'affaires par an. Nous travaillons exclusivement sur du frais et 80 % de la production est destinée à des restaurants haut de gamme toute l'année qui vont retirer purement et simplement nos produits de la carte", s'alarme-t-il.

La situation est aggravée pour ces producteurs qui livrent des restaurants tout au long de l'année, comme pour ceux travaillant en circuit court ou ceux qui misent sur la saison touristique estivale, comme c'est le cas dans le Périgord.

Les aides économiques seront-elles suffisantes pour sauver les éleveurs de canards ? Pour les petits exploitants, la réponse est non, car elles ne prennent en compte que le manque à gagner dû au vide sanitaire.

"Au delà des aides, il faudra que les partenaires économiques comme les banques, la MSA (la sécurité sociale agricole NDLR) et les assurances accompagnent les situations les plus sensibles", précise Cathy Berges, conseillère à la Chambre d'agriculture du Gers.

Les autorités prévoient donc que les entreprises éligibles au dispositif de "l'année blanche bancaire" déployé dans le cadre du plan de soutien à l'élevage pourront reporter le paiement de l'annuité 2016 des emprunts bancaires (jusqu'au 30 juin).

"Mais cela ne représente qu'un report de la charge et non une véritable aide, nous allons devoir envisager du chômage technique sur cette période", craint Norbert Joyeux, éleveur indépendant de canards.

Les petits exploitants se préparent donc à faire le dos rond avant de pouvoir profiter autant que possible des fêtes de fin d'année où un retour à la normale de la production est prévu.

10 millions de canards manquants et du chômage partiel

Parallèlement aux petites exploitations en circuit court, les exploitations en IGP (l'indication géographique protégée du Sud-Ouest) et Origine France vont aussi subir l'influenza aviaire. Trois industriels dominent ce marché : Euralis (groupe agricole diversifié avec notamment les marques Montfort et Rougié), Delpeyrat et Labeyrie. Ils se partagent 60 % du marché de foie gras et ne pourront pas répondre non plus à la demande.

"Sur une production nationale d'environ 40 millions de canards par an, 28 millions proviennent de la filière Sud-Ouest (70 % de la production, NDLR) et il manquera grosso modo 10 millions de canards sur le marché", résume Christian Pèes, président du groupe agricole Euralis. "Toute la filière est touchée, grands comme petits. Nous avons aussi des circuits courts à travers nos 'points verts'", ajoute-t-il.

Pour le numéro 1 de la production mondiale de foie gras (environ 300 millions d'euros de chiffre d'affaires pour cette activité), l'heure est aussi aux comptes.

"Pour les 320 éleveurs du Sud-Ouest travaillant au sein de notre coopérative, leur production devrait baisser de 30 %, soit quatre mois d'arrêt de production alors que, dans le même temps, leurs charges fixes continuent de courir", s'inquiète Christian Pèes.

La production propre du groupe est aussi affectée par la crise.

"Sur le site de Maubourguet (Hautes-Pyrénées), nous fonctionnerons à plein régime jusqu'au 15 avril, puis nous allons devoir envisager des mesures de chômage partiel pour 300 des 500 salariés. Nous sommes en discussion avec les représentants du personnel", ajoute le dirigeant.

Mais le groupe peut aussi compter sur ses éleveurs du Grand Ouest (Pays de la Loire et Bretagne) qui représentent la moitié de sa production et qui ne subissent pas les restrictions sanitaires.

Chez Delpeyrat, Dominique Duprat, directeur général adjoint du groupe, estime que le vide sanitaire entraînera "un trou de production de 30 % à 50 % suivant les zones".

Prix : les consommateurs vont payer la crise

En anticipant le vide sanitaire, les éleveurs de canards essayent de se refaire sur une hausse des tarifs. "On a déjà constaté des hausses de 15 à 20 % des prix", rapporte le président du Modef. Le consommateur en ressent déjà les effets. Ainsi, à Toulouse, chez le plus gros vendeur de foie gras du département, Samaran, les prix ont grimpé de 15 % en une semaine en répercussion de la hausse des tarifs.

Les gros producteurs se préparent aussi à négocier des hausses tarifaires avec la grande distribution, lors des derniers pourparlers qui ont habituellement lieu en février.

"Pour une fois, la balance va pencher en faveur des producteurs face à la distribution, dans des négociations habituellement très rudes. En outre, les éleveurs vont devoir supporter des surcoûts de production à cause des investissements liés aux mesures de biosécurité supplémentaires, ce qui justifiera des hausses de prix", souligne Christian Pèes chez Euralis. "La crise peut être aussi pour nous l'occasion de monter en gamme, en travaillant plus le produit et l'innovation", ajoute-t-il.

Delpeyrat, gagnant de la crise ?

Cette hausse des prix sera d'autant plus favorable aux producteurs qui disposent de stocks et qui pourront profiter de la relative pénurie de l'été pour les écouler au prix fort. "Delpeyrat a des stocks historiques !", affirme Christophe Mesplède du Modef. Contacté, le groupe ne répond pas. Euralis indique de son côté ne pas disposer de stocks très importants.

"Structurellement, il va manquer des produits, essentiellement sur notre marque Montfort", déclare le président de la coopérative agricole.

Enfin, le vide sanitaire pourrait profiter dans une certaine mesure aux pays de l'Est (Bulgarie, Hongrie), exportateurs de foie gras vers la France. "Cependant, ils ne peuvent pas pousser les murs. Il pourrait y avoir au maximum 4 à 5 millions de canards en plus sur le marché contre les 10 millions manquants", relativise le dirigeant d'Euralis. En outre, ces importations ne pourront pas se substituer à la production du Sud-Ouest, géographiquement protégée (label IGP).

Une appellation protégée depuis 2012 que les éleveurs pourront présenter fin février, bon an mal an, à un Salon de l'Agriculture qui s'annonce mouvementé. Les éleveurs de canards seront rejoints par les producteurs laitiers, porcins et bovins remontés.

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