France Jamet, la Marine Le Pen du Languedoc

Fidèle de Marine Le Pen, mais éclipsée jusqu'à présent par Louis Aliot dans la région, France Jamet veut être la principale opposante de Carole Delga au Conseil régional de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées. Décriée dans son propre parti, l'élue FN désarçonne ses adversaires qui dénoncent "ses idéaux nauséabonds dissimulés derrière un masque courtois". Portrait.
France Jamet

Un peu de poussière traîne encore sur le bureau toulousain du Conseil régional de Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées où France Jamet reçoit. Les locaux, fraîchement réaménagés, étaient occupés lors du mandat précédent par EELV et le PCF. "On est quand même mieux ici qu'à Montpellier", savoure la présidente du groupe régional du Front National, assise dans un fauteuil capitonné. Les locaux du FN en Languedoc-Roussillon, France Jamet les connaît bien. Elle a été élue pour la première fois en 1998 et sans discontinuer depuis.

Si on la connaît peu, c'est qu'elle a grandi dans l'ombre de son père, Alain Jamet, compagnon de route de Jean-Marie Le Pen et figure historique du FN dans l'Hérault. Tel père, telle fille, France Jamet a juré fidélité à la famille Le Pen. Mais, génération oblige, c'est dans le sillage de "Marine" que France s'est placée.

Née en 1961 à Paris, France Jamet a grandi à Montpellier dès son plus jeune âge du fait de l'activisme de son père, impliqué dès les années 50 dans le cercle national des indépendants, puis dans le mouvement de Pierre Poujade. Ancien parachutiste blessé pendant la guerre d'Algérie et proche de Jean-Marie Le Pen depuis la fac, Alain Jamet s'engage très tôt à ses côtés. "Il était souvent embarqué par la police à cause de ses activités politiques et ne pouvait pas travailler normalement, raconte France Jamet. Il a décidé de s'établir à Montpellier fin 1961 pour se mettre au vert."

La parenthèse n'est que de courte durée. En 1965, Alain Jamet participe à la campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour, le candidat d'extrême-droite lors de la présidentielle de 1965. France Jamet a 4 ans à l'époque. Elle sourit en évoquant ce premier souvenir politique. "Je me revois courir dans une réunion publique à Fréjorques, près de Montpellier. En partant, on klaxonnait en criant 'Algérie française, Algérie française !' Je trouvais ça ludique."

En 1972, Jean-Marie Le Pen revient chercher son lieutenant pour créer son propre mouvement. "Il est venu à la maison et il n'arrêtait pas de demander à maman pourquoi elle faisait la gueule. Elle savait que, comme Le Pen, papa ferait passer la politique avant la famille", assure France Jamet.

"La fille du facho"

La figure du père, une boussole pour France Jamet. "Comme Marine, nous avons grandi derrière nos papas. Il est un exemple pour moi, un modèle d'intégrité, de sincérité et de courage face à l'adversité." Une filiation parfois difficile à porter.

"Dans le quartier et au lycée, on m'appelait 'la fille du facho'. J'ai eu des problèmes avec certains professeurs. Cela forge le caractère. Une fois qu'on tombe dedans petite, on est happé."

"Elle est tombée dans la politique, comme Obélix dans la marmite", confirme le vice-président du FN Louis Aliot, ex-tête de liste aux régionales 2015. La jeune France a 13 ans quand elle adhère aux jeunesses du FN en 1973 pour défendre "une certaine idée de la France". Comme la perte de l'Alsace-Lorraine en 1871, la perte de l'Algérie en 1962 ne passe pas chez les Jamet. La question de l'immigration non plus. "À partir du moment où il y a une cassure entre l'Algérie, qui n'est plus française, et la France, on a le droit de se demander pourquoi ceux qui nous ont foutu dehors, viendraient s'installer chez nous", affirme encore aujourd'hui l'élue d'extrême droite.

D'autres sujets animent France Jamet mais "les fondamentaux sont toujours là", insiste-t-elle. "Je n'ai pas de chiffres en tête, mais il y a un problème d'immigration. Un problème de réfugiés aussi. La guerre qui nous est livrée par le fondamentalisme salafiste est un problème. Tout s'enchevêtre. Il faut être prudent et éviter le déni de la réalité. On a accueilli 65 000 réfugiés. Au Canada, Trudeau (Justin Trudeau, le premier ministre canadien, NDLR) a dit qu'il avait fait entrer plus de 60 000 réfugiés syriens et qu'il était prêt à prendre le risque de faire rentrer un ou dix salafistes. On voit les conséquences ensuite. Laisser les frontières ouvertes n'est pas la solution."

Fidèle, à la virgule près, à la ligne du FN, France Jamet l'est également à ses exagérations. Sur la période 1946-2004, la France a accueilli 9,5 millions d'étrangers selon l'Institut national d'études démographiques. Une réalité bien éloignée des chiffres brandis par Marine Le Pen qui s'alarmait pendant la campagne présidentielle de 2012, d'une vague de 15 millions d'immigrés depuis 35 ans. Même déformation des faits concernant les réfugiés. Le Canada n'a accueilli que 29 300 réfugiés depuis 2013. La France a, quant à elle, accepté 10 000 Syriens depuis 2011 selon l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

La politique, corps et âme

Tout entière forgée pour la politique, France Jamet se lance dans la vie active dès son bac en poche : vente en porte-à-porte, assurance et finalement secrétariat juridique puis syndicalisme pendant une dizaine d'années au sein de la confédération de défense des commerçants et artisans, dont elle gère le journal.

1983 marque son entrée en politique. Pour la première fois, à 22 ans, elle apparaît sur la liste de son père aux municipales de Montpellier. Elle défend ensuite les couleurs de son parti au gré des besoins, de cantons en cantons.

À 28 ans, elle s'inscrit à des cours du soir en fac de droit. Les nuits sont courtes pour cette insomniaque qui enchaîne nuits de révision et journées de travail. Celle qui regrettait de ne pas avoir fait "les grandes soirées étudiantes" découvre "un milieu où règne le chacun pour soi et où l'on ne se prête pas les cours". Au bout de deux ans, pas de diplôme, mais "une expérience, une curiosité et une bonne structuration".

Sa vie personnelle ? "Chaotique !" s'exclame-t-elle en riant. "Je n'ai pas d'enfant et je suis célibataire". Son ex-compagnon, Guillaume Vouzellaud, est le secrétaire du groupe régional du FN depuis 2004.

Dans les pas de Marine Le Pen

France Jamet obtient ses galons d'élue la même année que son amie de longue date, Marine Le Pen. En 1998, Jean-Marie Le Pen lui demande en effet d'être en position éligible aux régionales dans le Languedoc-Roussillon. "C'était son choix, pas le mien, souligne-t-elle. Il voulait qu'il y ait du renouvellement et des jeunes. Cela n'a pas fait le bonheur de papa car il craignait qu'on dise qu'il avait placé sa fille. Quand j'ai été élue conseillère régionale, il ne me faisait pas de cadeau et me disait que je parlais trop vite."

Des craintes peut-être pas si infondées à en croire Christian Clausier, conseiller municipal d'opposition FN à Lattes (34) et ancien du MPF (et qui a annoncé ce week-end sa démission du Front National). "C'est faux de dire que son père ne lui a jamais fait de cadeau, s'esclaffe-t-il. Elle est sa protégée. Ils ont toujours mené la fédération 34 en virant ceux qui étaient contre eux."

De fait, les Jamet Père & Fille siègent jusqu'en 2010 à l'assemblée régionale du Languedoc-Roussillon. Cette année-là, au moment où Marine Le Pen remplace son père comme présidente du Front National, France Jamet - réélue au Conseil régional - remplace le sien à la tête du groupe régional du FN. Toujours conseiller municipal de Perols dans l'Hérault, "papa" garde encore une influence importante sur sa fille, lui prodiguant quotidiennement conseils et analyses.

Protégée de Jean-Marie Le Pen selon Louis Aliot, France Jamet a embrassé dès 2004 la voie bleu marine.

"Elle fait partie de la vieille garde modernisée, explique l'eurodéputé FN et compagnon de Marine Le Pen. C'est un soutien indéfectible de Marine. J'ai œuvré pour qu'elle soit à la tête du groupe FN régional aujourd'hui. On se voit au bureau politique du FN. Elle m'appelle pour savoir quelle position prendre et je l'appelle parfois pour faire le point sur des sujets locaux."

Une proximité revendiquée avec enthousiasme par l'intéressée. "Il n'y a pas une feuille de papier à cigarette entre Louis Aliot, Marine et moi !", assure-t-elle.

Présidente de groupe par défaut ?

France Jamet, le socialiste Sébastien Dénaja l'a battue aux législatives de 2012.

"C'est une femme relativement charismatique et une adversaire redoutable, reconnaît le député de l'Hérault. On connaît son fond de commerce idéologique mais elle est très courtoise dans les débats. Elle sait dissimuler les idéaux nauséabonds du FN derrière un masque courtois et affable. On a plus de mal à lui 'rentrer dedans' qu'avec Jean-Marie Le Pen."

Malgré sa "main de fer dans un gant de velours", France Jamet s'est faite "ravir le leadership régional par Louis Aliot", estime le député socialiste. "Louis Aliot est le président fantôme du groupe FN à la région et c'est le grand problème de France Jamet", juge également le conseiller régional Les Républicains Dominique Reynié.

Pour le président du groupe LR-UDI au Conseil régional Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées, "France Jamet se retrouve présidente du groupe FN par défaut puisque Louis Aliot s'est mis en 5e position sur la liste dans les Pyrénées-Orientales pour dissimuler le fait qu'il ne voulait pas siéger autrement que comme président de la Région".

L'ancien candidat à la présidence régionale, dont le groupe est largement dominé en nombre d'élus par celui du FN, a la dent dure contre son adversaire politique. "Je la vois souvent perdue dans les actes de vote, pendue au téléphone pour recevoir des instructions de Paris ou d'Aliot peut-être, assure Dominique Reynié. Elle et son groupe ne servent à rien, sinon faciliter le travail de la gauche en étouffant notre opposition. Ils vocifèrent, insultent, brandissent des pancartes et même s'ils en ont le droit, déposent des amendements ridicules. France Jamet encourage ces comportements pitoyables qui nous font perdre des heures en affrontements inutiles. Elle en est responsable."

Même jugement sans concession de la part de Carole Delga, la présidente socialiste de la Région.

"France Jamet représente toutes les idées de l'extrême droite (repli sur soi, déclinisme, haine de l'autre), le populisme et la brutalité, l'obstruction permanente et la polémique hystérique auxquels j'oppose le dialogue, la construction et l'action avec des propositions pour notre région et ses habitants. Elle représente une petite entreprise familiale qui, elle, ne connaît pas la crise en prospérant sur les peurs."

Affable, mais pugnace, France Jamet ne se prive pas de rendre les coups. "Carole Delga n'a pas l'étoffe d'une présidente car elle est restée militante et sectaire. Elle n'a pas le bien commun à l'esprit, attaque-t-elle. Quant à Dominique Reynié, c'est un intrus, plus proche du centre gauche que de la droite de l'UMP. Il pense qu'en courbant l'échine et en mettant un genou en terre (sic), avec un coup de brosse sur l'épaule, ça peut passer. Ce n'est pas la logique de la maison. Nous y allons avec le couteau entre les dents, nous nous battons et nous mouillons la chemise."

Élue et attachée locale d'une eurodéputée

Reconnue comme "bosseuse et courageuse", France Jamet est "un peu débordée entre toutes ses missions", constate le journaliste politique montpelliérain Benjamin Téoule. De fait, l'élue FN cumule plusieurs mandats et missions. Élue municipale et métropolitaine d'opposition à Montpellier, France Jamet assure se consacrer principalement à son mandat régional. Cumulées, ses indemnités s'élèvent à 2 443 euros, ce à quoi il faut ajouter son salaire d'assistante parlementaire locale de l'eurodéputée FN Joëlle Melin.

"C'est vrai, reconnaît France Jamet, mais j'ai diminué mon temps de travail car je ne pouvais plus tout faire. Je le suis encore mais en très petite partie pour faciliter et coordonner les actions des eurodéputés FN sur le territoire." Joëlle Melin ayant refusé de s'exprimer sur la question, impossible de connaître précisément la nature et la rémunération de cette activité.

"Les indemnités sont raisonnables, assume France Jamet. Je ne vous dirai pas combien je gagne, mais ce n'est pas grand-chose. Toute peine mérite salaire. C'est du 24h sur 24h. Je le mérite car je me concentre totalement à ces tâches. Ce n'est pas volé. Je suis une professionnelle de la politique. En tant que présidente du groupe, je ne pourrais pas exercer d'autres activités. Il faut travailler les dossiers. Cela demande du temps."

"Le clan Jamet, c'est fini"

Professionnelle assumée de la politique, France Jamet ne fait pas l'unanimité au sein de la fédération FN 34 où certains dénoncent la mainmise du "clan Jamet" sur le département.

"Être élue partout pour ne jamais travailler, ce n'est pas possible. Elle ne sait rien faire d'autre que de la politique", déplore Alain Lebaude, élu FN d'opposition à Agde. Frontiste depuis 30 ans, il reconnaît les qualités et la capacité de travail de France Jamet, mais déplore ses méthodes :

"Le FN34 est une petite dictature. Quand quelqu'un lui fait de l'ombre, France Jamet le vire comme elle l'a fait avec Marie-Christine Aubert (qui n'a pas souhaité s'exprimer, NDLR) en septembre 2015. Secrétaire départementale de l'Hérault, elle aurait dû être tête de liste régionale, et France Jamet aurait été en position difficilement éligible. En la remplaçant grâce à l'appui des instances nationales, Jamet a assuré sa place. Elle n'est pas une cadre brillante. C'est surtout la fille de... Regardez à Montpellier : le FN n'y est pas ancré alors qu'elle y est depuis longtemps !"

En disgrâce depuis fin 2015, Alain Lebaude affirme que 18 élus FN du département "ont été mis sur la touche" par le "clan Jamet". "Des affabulations" selon France Jamet, que La Tribune Toulouse a pu cependant confirmer pour 10 élus héraultais, qui sont en retrait ou en cours d'exclusion du parti.

Militant FN depuis 1999 et responsable du canton sur lequel est élu Alain Lebaude, Jean-Louis Cousin porte un tout autre jugement sur sa dirigeante. "Elle est droite, sincère, toujours sur la brèche et pleine de convictions pour le FN/RBM. Elle en a d'ailleurs fait son métier, s'enthousiasme ce dirigeant du chantier naval Yachting Lodge. Les gens déboutés par la commission d'investiture sont des aigris. Moi, je suis du bon côté du clan Jamet."

Si le "clan Jamet" dominait l'Hérault du temps du père, c'est moins le cas du temps de la fille. "Elle est plus douce que son père, c'est une femme quand même", argumente Louis Aliot. "Le clan Jamet est fini dans l'Hérault. Son père n'est plus là. Elle n'a pas le même poids sur la fédération", tranche quant à lui Robert Ménard, le maire de Béziers.

Proche du FN mais sans y être encarté, l'ancien journaliste critique "l'orthodoxie politique" de cette "fille charmante" pour qui il a "de la tendresse". "Son avenir politique dépendra de celui de son parti, estime-t-il. Je ne sais pas si elle veut de ça. Elle m'a aussi dit qu'elle voulait du temps pour elle."

Fascinée par Francis J. Underwood

Du temps, France Jamet en manque pour lire ou aller au cinéma. Amatrice de classiques ou de livres politiques, elle a lu tout Giono, se "laisse parfois aller à lire du Houellebecq" et "pleure à chaque fois qu'elle lit le Vicomte de Bragelonne". Quand elle sera plus libre, elle lira la Comédie Humaine de Honoré de Balzac, dont elle n'a lu "que des bouts".

En attendant, elle s'est remise au sport et pédale sur un vélo d'appartement. "Je regarde des séries en même temps pour que cela soit moins emmerdant, sourit-elle. Je suis accro à Vikings, Games of Thrones et Borgen qui est génial, ou à des trucs crétins comme Scorpion. J'aime les Colombo aussi." France Jamet adule Francis J. Underwood, la caricature du politicien cynique incarnée par Kevin Spacey dans House of cards. "C'est fascinant et abominable. On est en plein dedans."

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