À cinq mois de son départ dans l'espace, l'astronaute Thomas Pesquet se confie

Thomas Pesquet deviendra au mois de novembre le 10e Français à aller dans l'espace pour une mission à bord de la station spatiale internationale. Comment prépare-t-il sa mission ? Qu'y fera-t-il ? Quel regard porte-t-il sur les nouveaux acteurs du spatial ? Interview avec un astronaute passé par l'Isae-Supaero de Toulouse.
Thomas Pesquet au Salon du Bourget en 2015.
Thomas Pesquet au Salon du Bourget en 2015. (Crédits : ESA)

Pour vous préparer à cette mission sur l'ISS, vous faites une à deux heures de sport par jour, vous avez dû également apprendre le russe. Quels sont les points les plus complexes et les plus inattendus de la préparation ?

Apprendre le russe, ce n'est vraiment pas facile. D'autant qu'il faut arriver à un niveau suffisant pour interagir avec les collègues sur des points très techniques (l'équipage est composé d'une astronaute américaine et d'un cosmonaute russe, NDLR). Nous les astronautes, nous n'avons pas suivi d'études littéraires, donc nous ne sommes pas spécialement doués pour les langues.

Par ailleurs à Moscou, j'ai suivi un entraînement de survie dans la neige. Il faut tenir trois jours avec les moyens du bord par - 20 °C. J'espère que je n'aurai pas à le refaire, ce n'était pas un des meilleurs moments de ma vie.

Ensuite, ce sont les vols paraboliques qui m'ont le plus surpris. Cette première expérience de l'apesanteur me rendait hilare. La sensation est géniale et j'ai hâte de la vivre dans l'espace pour 6 mois.

Quel sera votre journée-type une fois dans l'espace ?

Nous sommes synchronisés sur le méridien de Greenwich donc notre emploi du temps sera calqué sur la même heure que sur Terre. On commence la journée par faire sa toilette, prendre son petit-déjeuner comme à terre. Ensuite, la grande conférence-call avec les centres de contrôle au sol permet de passer en revue le plan de la journée. Pendant la journée, nous pouvons travailler seul ou en équipe. Nous appelons le centre de contrôle via la radio quand nous rencontrons un problème ou pour communiquer des résultats. Le soir, je dois faire deux heures de sport. La journée se termine avec une nouvelle conférence-call. Puis, vers 19h30, nous mangeons tous ensemble avant de vaquer chacun à ses occupations juste avant de se coucher. Le samedi après-midi, on fait le ménage dans la station spatiale. Le dimanche, à part deux heures et demi de sport dans la journée et une demi-heure de vidéo avec la famille, la journée est libre.

Parmi les 55 expériences européennes que vous allez mener, pouvez-vous donner quelques exemples d'applications de ces recherches dans la vie quotidienne ?

Beaucoup d'expériences de médecine sont menées actuellement sur les muscles et les os. Le vol spatial est un modèle du vieillissement accéléré qu'il est possible d'appliquer sur les personnes atteintes de pathologies osseuses ou musculaires. Nous menons aussi des expériences neurologiques. Face à un nouvel environnement, des connexions se font dans le cerveau et ne se défont jamais, c'est comme lorsque l'on apprend à faire du vélo. Mais, en cas d'accident, certains patients peuvent perdre ces connexions. L'état actuel de la médecine ne permet pas de rebrancher ces connexions. Les astronautes sont quasiment le seul exemple de cette formation de connexions. Les IRM réalisées avant et après la mission permettent ensuite de savoir dans quelle zone du cerveau faire des recherches.

Le Cnes planche sur des plats plus élaborées pour la mission spatiale. Que pensez-vous de cette initiative ?

Le Cnes veut quantifier le métabolisme et la consommation énergétique des astronautes. Aller dans l'espace n'est pas une fin en soi, l'objectif est d'apprendre à faire des missions plus longues, sur Mars par exemple. Or, on ne pourra pas se permettre d'avoir un kilo de nourriture par mois en réserve : le poids sera trop élevé et la mission deviendrait trop onéreuse. Ces expériences peuvent ensuite s'appliquer au sol à des problèmes de surpoids, d'obésité.

Par ailleurs, de grands chefs comme Alain Ducasse ou Thierry Marx ont conçu des plats pour la mission. Nous allons pouvoir manger à Noël des repas un peu meilleurs qu'à l'ordinaire. J'ai fourni à Thierry Marx des listes de plats que j'aimais bien. Il a fait de la langue de veau, de la poularde au vin jaune et un fondant aux pommes en dessert. Ce plat me rappelle bien entendu ma Normandie natale où les pommes sont la spécialité locale.

Quel regard portez-vous sur la possible "démocratisation" de l'espace ?

Je trouve que c'est une très bonne chose. L'espace ce n'est pas un club fermé. L'idée, c'est de débroussailler la route pour que d'autres suivent derrière. Cela va des vols paraboliques à Mérignac en Gironde où pour le prix d'un long courrier on peut avoir 10 minutes d'apesanteur, jusqu'au tourisme spatial où, à coups de millions d'euros, on peut passer 10 jours dans l'espace. Il existe aussi des projets américains d'hôtels spatiaux avec des modules gonflables. Au cours de la mission, nous allons tester un module spatial pour voir s'il résiste bien aux micro impacts et comment il résiste dans le temps. Ce n'est donc pas de la science fiction.

Plus globalement, cette tendance va changer notre travail car nous n'irons plus en orbite basse terrestre dans 20 ans. Cette portion sera reprise par le privé et, de notre côté, nous irons de plus en plus loin. J'espère que nous serons en route vers Mars.

Pour vous, que représente Elon Musk, le fondateur de Space X ?

En très peu de temps et avec un budget limité, il a réussi à développer un système de lancement d'une capsule qui peut s'arrimer sur la station spatiale, amener du cargo et rentrer sur Terre. Il s'agit d'une vraie prouesse technique. C'est un partenariat public-privé avec la Nasa qui est son premier client. Cela permet à l'agence américaine de dégager du budget pour d'autres projets. Dans le futur, j'imagine une orbite basse privée avec des laboratoires spatiaux pour l'industrie pharmaceutique desservis par des véhicules SpaceX. Pendant ce temps-là, la Nasa et l'Esa monteront en coopération internationale une grande mission pour aller sur Mars. C'est raisonnablement envisageable.

Vous êtes le parrain du lycée de l'espace à Saint-Orens qui a été créé pour aider les entreprises de la région à recruter, notamment des profils féminins. Que pensez-vous de cette initiative ? Comment susciter des vocations dans la filière spatiale ?

Je trouve que c'est une belle initiative et c'est pour cette raison que je la parraine. Il existe beaucoup de besoins dans la filière et pas seulement l'astronomie. Souvent les gens s'autocensurent, se disent qu'ils ne vont pas y arriver. Je raconte toujours aux jeunes que quand j'étais au lycée, j'avais un peu peur, je n'avais pas toujours confiance en moi. Ça aurait été bête de dire 'moi je veux devenir astronaute', les chances sont tellement infimes... Mais j'ai essayé de faire de mon mieux dans mes études, j'ai essayé de faire du parachutisme, de voyager à l'étranger... Je ne suis pas parti la fleur au fusil. Ça fait un peu peur de partir vers l'inconnu mais il faut le faire. Déjà, si je réussis à convaincre les jeunes sur ce point, c'est la moitié du boulot de réalisé.

C'est aussi pour cette raison que vous êtes très actif sur les réseaux sociaux ?

Oui, mais c'est aussi pour expliquer aux citoyens ce que l'on fait de leur argent. L'agence européenne est un service public et il est important d'expliquer nos activités, d'être transparent. Si les gens croient que l'on va se faire plaisir à partir dans l'espace et s'accrocher des médailles, ce n'est pas bon. Et puis, moi, j'aurais adoré gamin avoir Wikipédia, Twitter ou Facebook pour regarder ce qu'il se passe dans la station spatiale, ça permet presque de vivre cette expérience par procuration. Je ne peux pas emmener tout le monde avec moi dans l'espace mais c'est ma manière de partager cette expérience.

Aller dans l'espace, c'est en quelque sorte l'objectif ultime pour un astronaute. Qu'aimeriez-vous faire une fois la mission terminée ?

Je pense qu'il faut toujours avoir des défis. Je suis fan de l'exploration en général, y compris sur Terre. J'ai envie de faire de la montagne, de gravir des sommets, de faire des traversées en bateau... Mais, d'abord, je pense que je passerai un peu de temps avec mes proches, sinon ils m'en voudront. Pendant toute la semaine, nous avons accès à un téléphone sur IP pour appeler pendant 5 à 10 minutes. Les mails sont également synchronisés plusieurs fois par jour. Mais pour les missions plus lointaines, il faudra pallier ce problème.

Quels sont les trois objets symboliques que vous emmènerez dans l'espace ?

J'emmène les oeuvres complètes de Saint-Exupéry puisque en tant que pilote ça me parle, ma ceinture noire de judo, la montre de mon frère. J'apporte des objets confiés par des proches puisque ce n'est pas que mon aventure, j'ai envie de partager cette expérience avec le plus grand nombre.

Et les objets qu'il faudrait inventer pour l'espace ?

Il faudrait que nous soyons plus autonomes en termes de ressources. Actuellement, 70% de l'eau est recyclée mais nous pourrions faire mieux, pour éviter d'être ravitaillé par le sol. Je pense aussi à une propulsion spatiale plus efficace pour aller plus loin dans l'espace et relier Mars par exemple.

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