Jake Lodwick (Vimeo), serial entrepreneur et artiste

Créer encore et toujours, sans craindre l'échec, et permettre aux internautes d'exprimer leur créativité, voila le crédo de Jake Lodwick, l'un des fondateurs de Vimeo, un site de partage de vidéos concurrent de Youtube. Invité de marque du deuxième FailCon organisé par Ekito à Toulouse le 18 juin dernier, l'entrepreneur venu de San Francisco est revenu, pour La Tribune-Objectif News, sur son parcours et l'évolution du secteur numérique. Entretien avec un entrepreneur atypique et décalé.
Jake Lodwick, l'un des fondateurs de Vimeo, à Toulouse le 18 juin 2015.

Comment vous définissez-vous ?
Je pense que j'ai beaucoup changé mais la chose qui persiste, c'est que je suis un "serial" entrepreneur. Je crée des entreprises tout le temps (Normative en 2007, Pummelvision en 2010, Elepath en 2012, Keezy en 2013 par exemple, NDLR). Je ne peux pas m'en empêcher. Une société après l'autre. Parfois, ce sont des réussites, parfois non. La plupart du temps, elle ne le sont pas d'ailleurs. Mais ça arrive.

Vous êtes un mauvais entrepreneur ?
Je pense qu'un bon entrepreneur fait de nombreuses erreurs. Les entreprises que j'ai créées récemment ont échoué. Elles ont disparu et personne n'en parle. Celles que j'ai fondées il y a longtemps sont des succès et on en parle toujours aujourd'hui. Un entrepreneur doit essayer et échouer beaucoup s'il veut réussir dans sa carrière. On peut avoir la chance du débutant et réussir du premier coup un grand succès. Même si, ensuite, ce n'est pas si facile à refaire.

Avez-vous peur de n'avoir eu qu'une seule bonne idée dans votre carrière en créant Vimeo ?
C'est vrai que c'était ma meilleure idée et qu'elle date d'il y a 10 ans. Parfois je me dis "C'est tout ? Ai-je atteint mon maximum quand j'étais plus jeune ?". Il n'y a pas de raison que cela doive être vrai. Si je continue à travailler, je trouverai quelque chose encore mieux que Vimeo. On verra (rires).

Pourquoi pensez-vous que vendre Vimeo a été une erreur ?
Abandonner quelque chose qui était très important pour moi a été mon premier échec. Le groupe IAC, qui nous a rachetés, nous a dit qu'il allait mettre à notre disposition beaucoup d'argent, mais ce que j'ai compris, c'est que j'étais devenu un employé qui devait rendre des comptes.

Je suis très fier de ce que Vimeo est devenu, mais je pense que j'aurais pu faire mieux. Vendre revient à accepter de ne pas atteindre la vision qu'on attendait. Si l'objectif final d'un entrepreneur est de vendre son entreprise, c'est que sa vision n'est pas assez grande. Il faut aller le plus loin possible.

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Lors du FailCon, Jake Lodwick s'est présenté un verre de vin à la main et avec deux chaussures différentes.

Comparé aux autres entrepreneurs venus au FailCon, vos façons de vous habiller, de parler, de vous déplacer, font de vous quelqu'un d'unique. Vous considérez-vous plus comme un artiste que comme un homme d'affaires ?
Je ne suis pas très bon en affaires (rires). J'ai besoin d'un partenaire qui est bon là-dedans. Je suis mauvais en relationnel, je me fiche de l'argent. Je veux juste créer des choses. Je me sens comme un artiste qui aime fabriquer des entreprises. Je peux faire une petite partie de cela par moi-même et avoir la vision mais, pour la construire, j'ai besoin de l'aide de beaucoup de gens.

Quelle est votre vision ? Que vous voulez faire ensuite ?
En ce moment, j'ai une société appelée Keezy qui conçoit des logiciels de musique accessible à tous, des professionnels de la musique aux enfants. Nous pensons que tout le monde a de la musique à l'intérieur de soi, mais que peu de monde l'exprime car les logiciels sont trop compliqués. Beaucoup plus de gens feraient de la musique s'ils avaient des logiciels plus simples.

C'était la même chose avec Vimeo. Je voulais que les gens mettent leurs vidéos sur internet, sans qu'ils aient besoin de savoir encoder et charger la vidéo. Il s'agit de faciliter la créativité. C'est un si grand objectif que je ne peux pas tout faire dans une seule entreprise !

Pensez-vous que la finalité d'internet est de simplifier la vie des gens ?
Absolument ! Je ne suis pas un grand fan de la plupart des services internet, les médias sociaux notamment. La plupart sont plus distrayants qu'utiles. Je n'ai pas de compte Facebook, je suis dix personnes sur Instagram et personne sur Twitter. Je ne les utilise qu'un tout petit peu car c'est très addictif.

Je vis à San Francisco et j'ai rencontré les gens qui font ces médias sociaux. Je ne crois pas qu'ils aient de très bonnes intentions. Ils veulent que les utilisateurs soient dépendants. Je sais que c'est un commerce et qu'il faut faire de l'argent. Mais on peut proposer un service que les gens seront heureux d'utiliser et qui les rendra créatifs. C'est peut-être impossible mais c'est ce que j'essaie de faire.

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Jake Lodwick, l'un des fondateurs de Vimeo, à la conférence FailCon à Toulouse le 18 juin 2015.

Vous êtes dans l'économie d'internet depuis ses débuts. Comment a-t-elle évolué ?
Je n'aime pas trop son évolution. Il y a des gens que je respecte dans ce secteur, comme Stewart Butterfied, l'un des fondateurs de Flickr, ou Uber, qui est incroyable. Il y a de nombreuses et très bonnes entreprises. Mais quelques-unes sont trop addictives et deviennent rapidement une perte de temps. Ceux qui les font se disent que c'est ce que veulent les gens. Mais il y a une différence entre aimer et être accro.

Êtes-vous jaloux du succès de ces entreprises ?
J'aimerais avoir autant de succès que Google, Facebook et les autres grands, mais je préfère faire les choses à ma manière et pouvoir dormir la nuit.

Vous pensez qu'ils n'ont pas le sommeil tranquille ?
Je ne sais même pas si ça les dérangerait (rires). Je pense que cela leur va comme ça, mais je sais que moi non. Il y a beaucoup de chose que j'aurais pu faire et que je n'ai pas voulu faire. Sans doute à cause de mon côté artiste entêté.

Que pensez-vous des entreprises françaises du net ?
Je n'ai pas beaucoup d'informations les concernant. J'espère que mon séjour à Toulouse va m'en apprendre davantage. Je suis curieux de savoir comment ça marche ici et quelle est l'approche vis-à-vis des startups. Aux États-Unis, on dit que les autres pays sont plus conservateurs. Nous sommes des fous de travail et d'entrepreneuriat. Nous essayons tout sans avoir peur d'échouer. Ici, il se peut qu'il y ait une crainte de l'échec. Je cherche des preuves. Je ne sais pas encore.

Lodwick

Internet est une création principalement américaine aujourd'hui. Pensez-vous que cela changera ?
La culture startup des États-Unis inspire le reste du monde. Si les gens apprennent de nous, cela pourra devenir un phénomène mondial. Il n'y a rien de magique là-dedans. On peut monter une startup depuis San Francisco, New York ou n'importe où dans le monde. C'est juste une attitude.

Il est difficile de dire si l'équilibre changera. Les États-Unis poursuivront sur leur lancée et j'espère vraiment que d'autres pays s'approprieront cette culture car le monde change très rapidement. La technologie accélère. Il va devenir de plus en plus important pour les autres pays d'adopter la culture américaine des startups.

Quelle sera la place d'internet demain ?
Nous sommes encore à l'aube de l'internet des objets mais les appareils connectés seront de plus en plus nombreux. Pour l'instant, il n'existe pas encore de protocole satisfaisant. Il y a encore beaucoup de travail pour développer des objets connectés qui se parleront facilement. Ceci dit, demain, internet sera partout.

Est-ce une bonne chose ?
Peut-être pas ! Nous verrons. La technologie sera-t-elle bonne ou mauvaise ? La réponse dépend de la collaboration entre ingénieurs et designers et de la responsabilité des entrepreneurs qui devront fabriquer des technologies utiles et bonnes pour les utilisateurs.

Quelle est la plus incroyable chose que vous ayez vue ou faite ?
Quand je concevais Vimeo, j'étais si créatif que j'ai eu un épisode maniaque (le contraire d'une dépression, NDLR). Je suis devenu fou d'excitation créative. C'est ce sentiment que je cherche tout le temps. Cet état d'esprit où tu construis quelque chose dont tu penses qu'il sera plus grand demain, mais qui est si jeune que tu ne peux qu'imaginer les possibilités. Je ne peux pas être dans cet état d'esprit tous les jours car, sinon, je ne ferai rien de concret. J'aime cette boucle entre le moment où tu penses et celui où tu crées. Ensuite, tu regardes ce que tu as fait, et tu as une nouvelle idée qui t'amène vers quelque chose que tu n'aurais pas imaginé. C'est la magie de l'évolution.

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