Les coulisses du dispositif "Airbus Corporate Innovation"

Innovation manageur à Airbus, Benoit Marguet fait partie du petit cercle de 30 personnes réparties entre Toulouse et Hambourg et chargées de diffuser une culture d'innovation au sein de la multinationale (28 000 salariés rien qu'en France). Pas facile. Cet "évangélisateur" travaille dans l'équipe de Yann Barbaux, directeur de l'innovation, et sous l'autorité directe Fabrice Brégier, qui est à l'initiative de ce "Airbus Corporate Innovation". Alors, l'innovation chez Airbus, c'est quoi ? Entretien.
Benoit Marguet, responsable de l'innovation chez Airbus.

Quelle est votre définition de l'innovation ?

J'ai pour habitude de citer Lord Kelvin, physicien du 19e siècle qui affirmait à l'époque au sujet des avions : "ça ne volera pas". Or, le premier vol commercial d'un avion a lieu en 1914 sur une distance de 35 km, aux États-Unis. À bord, il y avait un pilote et un passager. Aujourd'hui l'aéronautique est un marché de 2 400 milliards de dollars et 13 milliards de passagers par an.

Pour moi c'est ça l'innovation : relever des challenges et faire ce qui est a priori "impossible".

 Qu'est-ce que Airbus fait d'autre qui était a priori "impossible" ?

La naissance d'Airbus en soi est une innovation. Dans les années 70, quelques ingénieurs se sont dit "on va vendre des avions aux États-Unis". C'était fou ! C'était ainsi qu'il y a plus de 40 ans naissait Airbus. Ce n'était pas il y a si longtemps que cela, et on voit à quel point l'aéronautique a évolué à une vitesse considérable. Aujourd'hui, la compétition est agressive, qu'elle soit conventionnelle ou pas.

Qu'entendez-vous par compétition "conventionnelle" ou "non-conventionnelle" ?

La compétition conventionnelle est exercée par nos concurrents. On sait comment ils fonctionnent, ce sont les Boeing, Embraer et autres Comac.

La compétition non conventionnelle se déroule dans la Silicon Valley, et si les projets présentés peuvent paraître hallucinants, il faut les prendre au sérieux. Par exemple, Elon Musk (président de Tesla, les voitures autonomes) veut lancer HyperLoop, un train à ultra grande vitesse, alimenté par la lumière du soleil et composé de capsules sous vide pouvant relier San Francisco et Los Angeles en une demi-heure. Autre exemple : la société Xti Aircraft souhaite proposer une voiture volante (le Trifan 600) qui décollerait verticalement. Elle est en train de lever 50 millions d'euros pour développer des prototypes.

L'environnement n'est pas aussi serein que l'on pense.

C'est pour cela qu'Airbus doit innover ?

Oui tout à fait !

Comment se traduit la stratégie d'Airbus en matière d'innovation ?

En 2014, Fabrice Brégier (CEO d'Airbus NDLR) a mis en place le Airbus Corporate Innovation. Un comité de 30 personnes réparties entre Toulouse et Hambourg, mais qui s'adresse à tous les salariés d'Airbus, du bureau d'études au marketing, en passant par le service qualité, RH, achat, etc.

Notre mission est de définir la stratégie d'innovation d'Airbus. Autrement dit d'identifier, promouvoir et accélérer innovation dans le groupe. 30 personnes pour faire bouger 50 000 personnes, ce n'est pas facile. Nous avons donc défini trois axes : l'innovation produit (les nouvelles technologies rapidement intégrables dans les avions), l'innovation process (réduire le time to market, avoir un accès direct au top management, s'ouvrir à l'extérieur) et l'innovation dans les équipes (création d'une communauté, insuffler un esprit d'innovation, faire de l'innovation une compétence clé dans les recrutements, etc.).

De quels outils disposez-vous pour mettre en œuvre cette stratégie ?

Tout d'abord nous avons créé l'Innovation Network en 2014, un réseau interne de personnes qui acceptent de distiller dans leur service une culture d'innovation. Ils sont 200 aujourd'hui, et nous espérons qu'ils seront bientôt 300 : ils sont nos relais en local car nous ne pouvons pas aller voir tout le monde. Ils expliquent ce qui est mis à disposition des salariés et nous font remonter les bonnes idées.

Airbus a aussi créé une sorte de "Facebook" interne, qui s'appelle connect@airbus. Sur le principe du réseau social, il permet à tous les salariés du groupe de partager des idées, des documents, et de poser des questions. Cela a pour conséquence de casser les silos entre les différentes entités du groupe. C'est un réseau social informel, avec la possibilité de créer et de s'abonner à des communautés sur des thématiques différentes.

Il compte déjà plus de 28 000 membres. C'est un vrai succès car il est utilisé aussi par le top management. Fabrice Brégier et Tom Enders y ont ouvert un compte.

Nous avons également mis en place l'outil IdeaSpace, une base de données sur laquelle tout le monde peut déposer une idée innovante dans des secteurs particuliers. C'est aussi très intéressant pour les membres du management qui peuvent lancer des "campagnes" sur des thèmes particuliers. Par exemple, plus de 300 propositions ont été déposées concernant le "3D printing challenge". La question était "pensez-vous que certaines pièces doivent être imprimées en 3D ? Les quelles ?" Un jury interne va sélectionner les meilleures idées avant de les transformer en projet.

 Tout cela relève du réseau interne, de la culture d'innovation. Concrètement, est-ce qu'Airbus aide ses salariés à passer de l'idée à la réalisation ?

 Nous avons mis en place les Framings Labs. Ce sont des sessions de coaching in situ, auprès des porteurs de projets, quel que soit le site où ils travaillent. Plusieurs "coachs" examinent l'idée soumise et proposent des solutions pour concrétiser le projet. Une feuille de route est dressée pour améliorer l'idée, son utilité, son impact environnemental, sa qualité, le business plan... Aujourd'hui une dizaine de sessions d'une journée se sont déroulées. Nous avons ainsi "coachés"une centaine de projets.

Nous avons aussi mis en place les Sprints, c'est-à-dire que les porteurs de projets peuvent consacrer 50% de leur temps de travail à leur projet et ce, sur 100 jours. Ils doivent développer un prototype ou un démonstrateur avec le support d'équipes pluridisciplinaires. 100 jours c'est court, c'est un vrai défi. Au bout de ce délai, les porteurs de projets présentent leur projet au top management pour une décision d'implémentation ou non, par exemple pour un nouvel outillage. Nous avons commencé les Sprints il y a trois ans et aujourd'hui il y a en permanence 3 ou 4 projets en cours.

Et puis il y a bien sur le BizLab, que nous avons ouvert à Toulouse en mars 2015 puis un autres en Allemagne et bientôt en Inde. Il s'agit d'un incubateur dédié aussi bien à nos "intrapreneurs" qu'aux startups externes.

Y a-t-il chez Airbus la volonté d'aller chercher l'innovation en dehors de ses propres équipes ?

Oui bien sûr, même si cela n'est pas une tradition chez Airbus, il y a une véritable volonté d'ouverture, notamment avec le BizLab. Nous avons créé l'année dernière Airbus Ventures, dont l'objectif est de réaliser un "sourcing" dans le monde entier vis à vis de startups et PME. Nous avons déjà évalué plus de 200 startups. Nous voulons repérer les perles rares. Quand cela arrive, nous démarrons une collaboration, c'est le cas avec huit startups actuellement, en provenance d'Espagne, des USA, et d'Italie notamment.

Votre supply chain est-elle une source d'innovation ?

Oui nous avons mis en place cette année dispositif de co-innovation avec nos fournisseurs. Cela nécessite de se mettre ensemble autour de la table pour échanger sur des projets en dehors de tout cadre commercial. Aujourd'hui nous faisons cela avec deux compagnies aériennes et trois fournisseurs.

Toute cette stratégie porte-t-elle ses fruits ?

Oui, nous avons ouverts les esprits et les choses bougent chez Airbus.

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