Anne Fauré, la rigueur du Barreau

Deuxième femme bâtonnière de l'Ordre des avocats de Toulouse depuis 1815, Anne Fauré est toute entière dévouée à sa cause. Protectrice et porte-parole des avocats toulousain, à 50 ans, elle dirige l'Ordre en "pater familias" avec rigueur et attachement aux traditions de la profession.
Anne Fauré

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"Travailleuse", "droite dans ses bottes", "classique", "généreuse". Proches ou collègues sont unanimes : Anne Fauré est avant tout "dévouée" à la cause des avocats.

Élue en décembre 2013 et confirmée dans sa fonction en novembre dernier, la deuxième femme bâtonnière de l'ordre des avocats de Toulouse reçoit dans son bureau, rue des Fleurs près du Palais de Justice. Sur le mur en face d'elle, un grand tableau de vagues grises qui "était là quand [elle] est arrivée". La bâtonnière n'a que peu de temps à consacrer à la décoration. Sur son bureau encombré de quelques dossiers, seule une statuette d'Albert Einstein marque son passage, clin d'œil amical de ses proches à sa personnalité plus matheuse que littéraire. Peu intéressée par le français, c'est en effet un bac "Mathématiques et Sciences physiques" qu'Anne Fauré passe à Toulouse en 1984. Deux ans plus tard, elle entame pourtant une licence de droit à Bayonne. Un choix évident pour celle qui "avant l'âge de 8 ans" prenait "systématiquement la défense de [son] frère aîné quand il se faisait gronder". Vers le même âge, elle assiste à un procès avec un membre de sa famille. "J'ai alors rencontré un grand avocat, le bâtonnier Louis Descaunes, quelqu'un de très brillant, raconte-t-elle 42 ans plus tard. J'adorais son humour, sa façon de ciseler les phrases et de tourner en dérision."

Sa vocation naissante se confirme en 1980, lorsque elle écoute Robert Badinter plaider pour la dernière fois contre la peine de mort à Toulouse lors de l'affaire Garceau.

"Cela m'a bouleversée. C'est là que j'ai décidé de devenir avocat, se rappelle-t-elle. Je me suis dit 'ce sont des causes justes, c'est ce que j'aimerais faire'."

Licence en poche, Anne Fauré traverse l'océan pour étudier l'anglais et le droit à Berkeley en Californie pendant l'été 1989. Elle passe ensuite par Sciences Po Bordeaux où elle se familiarise avec l'économie et les finances, "dans l'optique d'avoir une palette plus étendue de compétences pour être avocat". Major au concours d'entrée de l'école des avocats en 1991, Anne Fauré rentre à Toulouse pour se rapprocher de sa famille "après six années loin de [ses] petites sœurs". Elle prête serment en décembre 1992, en même temps que ses camarades de promotion Frédéric Douchez, ancien bâtonnier, et Christophe Lèguevaques. "Gentille sous un air revêche, elle était déjà très compétente et grande travailleuse", se rappelle ce dernier. "Elle a un côté un peu sec et rigide, mais c'est une femme charmante et extrêmement honnête, souligne Frédéric Douchez. On peut compter sur elle."

"C'était une promotion avec des individualités très fortes, comme Blaise Handburger, qui est devenu bâtonnier du Gers, se souvient Anne Fauré. On sentait que plusieurs avocats perceraient, comme Ferdinand Djammen Nzepa par exemple (avocat des parties civiles au procès des Khmers rouges au Cambodge, NDLR)."

Impliquée dans la profession

Dans un premier temps, l'avocate s'oriente vers le droit civil au cabinet De Caunes et Forget. "Je faisais aussi beaucoup de permanence pénale, un passage obligé pour les avocats stagiaires, précise-t-elle. Cela me plaisait, car ce sont des plaidoiries de l'instant où l'on est mis en danger. Il faut être bon instantanément avec peu de préparation. C'est un exercice superbe et passionnant humainement." Un exercice qu'elle n'a pas complètement abandonné puisqu'elle plaide encore une fois par an aux assises "pour ne pas perdre cette ambiance particulière", même si "le droit civil et commercial est intellectuellement plus satisfaisant".

En 1993, elle rejoint le cabinet de Simon Cohen, "un maître qui m'a donné cette haute vision de notre métier, qui a su me faire confiance dans de très gros dossiers et en me déléguant tout le volet commercial de son cabinet". Deux ans plus tard, la jeune avocate se met à son compte comme collaboratrice à mi-temps au SCP Brocard, un cabinet civiliste. En 2000, elle devient l'associée de Monique Brocard, la première femme bâtonniere de Toulouse.

"Elle était dynamique et compétente, évoque cette dernière. Je l'ai un peu protégée au début mais elle vole de ses propres ailes à présent. Son action au bâtonnat est très appréciée."

À l'orée de sa carrière, Anne Fauré s'implique immédiatement dans les instances de sa profession. Membre de l'Union des jeunes avocats (UJA) dès 1992, elle en gravit les échelons jusqu'à devenir présidente de la section toulousaine de 1998 à 2000 et déléguée nationale de 1996 à 1998. À ce titre, elle participe à la fondation de l'association Avocats sans frontière France en 1998. Deux ans plus tard, elle se rend en Turquie au sein d'une délégation pour soutenir les avocats du dirigeant kurde Abdullah Öcalan.

"Elle s'est distinguée tout de suite en prenant des responsabilités, confirme Francis Cantier, avocat et président de l'association Avocats sans frontières France. C'est une femme courageuse et engagée pour la défense des droits de l'homme. Face à des situations compliquées, elle n'a jamais détourné le regard."

Une qualité que l'intéressée se reconnaît : "J'ai une certaine ténacité, un certain courage dit-on. Je vais jusqu'au bout de mes idées et de ce que je peux faire."

Parallèlement, en 1995, elle cofonde également l'Association avocats des jeunes à Toulouse (AJT) qui regroupe les avocats spécialisés dans le droit des mineurs.

"Je trouve cela intéressant car ce sont des cas complexes, juge-t-elle. Les mineurs ne vous donnent aucun élément favorable à leur défense. Ils sont bruts de décoffrage. Il faut avoir des trésors d'imagination pour élaborer une stratégie presque malgré eux. J'ai une certaine indulgence pour les jeunes car ils sont responsables mais moins calculateurs que les adultes. Ce n'est pas plus facile moralement de défendre un mineur, mais il est intéressant de voir son évolution entre le moment où il est mis en examen et celui où il est jugé."

Le bâtonnat, un aboutissement

Après ces mandats associatifs, Anne Fauré change de dimension en 2011 en prenant les rênes de la Caisse autonome des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) dont elle est administratrice depuis 2006. "C'est un outil très financier qui m'a passionné, sourit-elle aujourd'hui. J'ai voulu rendre son fonctionnement plus transparent en termes de communication vis-à-vis des avocats pour qu'ils la comprennent mieux." Forte de cette expérience, et incitée par l'ancien bâtonnier Jean-Louis Matheux, Anne Fauré commence à penser au bâtonnat.

"Depuis 23 ans, j'ai toujours eu un mandat, remarque-t-elle. La défense des intérêts de la profession me passionne car je ne conçois pas la défense des clients sans la défense des avocats. Si ceux-ci ne sont pas protégés, leurs clients ne le sont pas non plus."

Le bâtonnat ? Un "aboutissement logique" pour cette professionnelle de 50 ans à "l'intelligence remarquable" selon ses proches. Après toutes ses fonctions et titres accumulés, on pourrait la juger carriériste. "Elle se dévoue de façon désintéressée, assure l'avocate Marie-Pierre de Masquard, une amie "depuis plus de 20 ans". "Ce métier lui donne tant de bonheur qu'elle veut le restituer en s'occupant des problèmes de la profession, ajoute-t-elle. Je suis épatée, à vrai dire, car le bâtonnat est très lourd. Il y a plus de coups à prendre qu'autre chose mais, très pudique, elle encaisse sans se plaindre. Elle n'a pas peur de déplaire. Elle dira les choses clairement."

Dévouée à sa profession, Anne Fauré carbure à la complexité intellectuelle et au défi. "Si les avocats n'aimaient pas cela, ils ne feraient pas ce métier, mais c'est particulièrement le cas dans mon caractère personnel. Si on n'aime pas les défis, on ne se présente pas au bâtonnat. C'est une responsabilité énorme. Il faut représenter au mieux 1 500 avocats en France et à l'étranger, et résoudre les litiges qu'il peut y avoir entre les avocats, les clients et les juges. On se comporte soit en pater familias, soit en juge."

Anne Fauré

Traditionaliste mais pas conservatrice

"Avocat", "bâtonnier", "président", "pater familias", à l'oral comme à l'écrit, Anne Fauré se refuse à féminiser les fonctions qu'elle exerce, à l'instar de Monique Brocard, la première femme élue au bâtonnat de Toulouse en 1998. "J'estime que c'est la fonction et non le genre qui est importante", affirme-t-elle. Une position un peu à rebours des tendances actuelles, qu'elle assume sans difficulté :

"Je revendique ma qualité de femme et je pense que ma façon d'exercer est différente de celle d'un homme. Mais j'ai fait campagne sur les idées et non le genre. C'est peut-être une mauvaise idée de ma part, mais il me paraît évident que les femmes peuvent tout faire."

Deuxième femme bâtonnière de l'un des plus vieux barreaux de France, Anne Fauré s'agace tout de même de certaines habitudes : "Lorsqu'on m'appelle Monsieur le Bâtonnier, cela m'énerve. Cela arrive fréquemment. Alors, j'écris une lettre..."

Pourquoi, alors, cet attachement à la masculinité d'un titre renvoyant au temps où dans une profession dominée par les hommes, la bâtonnière ne pouvait qu'être la femme du bâtonnier ? Par facilité peut-être ? "On dit qu'il est difficile pour une femme de s'imposer, mais je ne l'ai pas senti comme cela." Par respect des traditions alors ? "Oui, mais pas conservatrice. Je suis attachée à certaines valeurs traditionalistes comme la politesse et la courtoisie. Entre avocats, c'est une nécessité absolue. Les sources de conflits sont permanentes. Je ne voudrais pas qu'on en arrive à sortir la Kalachnikov. La déontologie et la courtoisie peuvent nous aider à contenir les conflits."

"Elle est classique dans l'âme, reconnaît Marie-Pierre de Masquard, mais elle inscrit notre métier dans la modernité. Elle défend les valeurs du serment de l'avocat : dignité, conscience, indépendance et humanité. Là, vous avez Anne."

Lire, penser et peu dormir

Grande travailleuse, Anne Fauré commence ses journées à l'Ordre à 5 h du matin et les termine vers 19-20 h. "Cela me laisse du temps jusqu'à minuit pour d'autres choses, compte-t-elle. J'utilise aussi ce temps pour réfléchir à ce que je dois faire pour améliorer les choses et à écrire les articles et édito pour le bulletin du bâtonnier." À lire aussi des livres qu'elle dévore avant de courtes nuits. "Quand elle dort 4 h, c'est bien, constate Monique Brocard. Elle n'a pas de grands besoins."

Au tennis et au ski de sa jeunesse, Anne Fauré préfère aujourd'hui le golf. Passionnée de jeux de cartes, au point d'y passer des nuits blanches selon Marie-Pierre de Masquard, ses activités de bâtonnière lui laissent à présent peu de temps pour ces distractions. Une charge de travail qui ne lui fait pas éprouver le besoin de décompresser, même si elle aime se changer les idées au restaurant avec des amis. Autour d'une assiette, la bâtonnière ne boit que du champagne. "Son pêché-mignon", d'après Frédéric Douchez, son prédécesseur au bâtonnat toulousain. Le seul breuvage qu'elle tolère, indique-t-elle, car les autres vins l'enivrent.

Anne Fauré vit avec son compagnon et "consacre aussi du temps à [sa] famille et [ses] amis". Une vie "comme tout le monde", sans enfant, car "c'est tombé comme ça", murmure-t-elle, avant d'ajouter après un temps de silence : "Je pense que si j'en avais eu, il aurait été beaucoup plus compliqué pour moi, en termes de temps, de me présenter au bâtonnat."

Que fera-t-elle après son mandat ? Frédéric Douchez la verrait présider la conférence régionale du Grand Sud-Ouest. Elle-même dit ne pas savoir. En attendant cette échéance, Anne Fauré rejoindra ses pairs cette fin semaine à Versailles lors de la Conférence des 100 bâtonniers.

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