Supply chain aéronautique : à quand des livraisons 100 % à l'heure ?

Le programme "performance industrielle", porté par le Gifas en 2014 et mis en œuvre par l'association Space, présente des résultats positifs. Sur les 405 PME participant à cette démarche d'amélioration de la supply chain aéronautique, 86 ont terminé le programme. Le nombre d'entre elles qui présentent un OTD (on time delivery) supérieur ou égal à 95 % a doublé. Heureusement, car "il y a urgence". Interview de Christophe Cabaret, directeur des opérations de Space, à Toulouse.
Pièce aéronautique dans les locaux de Figeac Aéro

Space communique les premiers résultats du programme "performance industrielle", démarré en 2014. Que signifie concrètement "performance industrielle" ?

Ma réponse est simple : la performance industrielle, c'est la livraison de pièces bonnes, à l'heure. C'est à-dire un OTD (on time delivery) supérieur à 95 % et le minimum de retour usine (livraisons non conformes). Cela paraît basique, mais c'est un problème répandu dans la supply chain aéronautique. Aujourd'hui, un article sur 5 est en retard, 20 % des pièces ne sont pas livrées à l'heure.

Combien de sociétés de la supply chain aéronautique française ont participé à ce programme ?

405 PME ont participé au programme, réunies dans 69 grappes construites autour des donneurs d'ordres. Elles ont bénéficié de 6 600 jours de consultants à des tarifs préférentiels, et de 4 100 jours de formation. Le tout pour un budget global de 22,9 millions d'euros sur trois ans (2014-2016). Honnêtement, c'était presque impossible de tenir le timing et nous l'avons fait ! Mobiliser 470 entreprises, cela n'avait jamais été fait en France. Toute la France aéronautique a été mise en branle, il y a une vraie dynamique. Les membres de la supply chain ont été mis en valeur et les donneurs d'ordres se sont rendus compte qu'ils avaient en face d'eux de vrais partenaires, et non pas seulement des sous-traitants.

Le programme a-t-il permis d'améliorer l'OTD des PME participantes ?

Sur les 86 PME qui ont terminé le programme, les résultats sont positifs. 75,2 % d'entre elles se sont améliorées et la réduction moyenne de leurs retards de livraison est de 55,3 %. C'est gigantesque. On note aussi que la réduction moyenne de la non-qualité (le retour usine) est de 65,2 %. Autre chiffre : sur 86 PME, nous avions avant le début du programme 30 entreprises dont le taux de livraison à l'heure était inférieur à 70 %. Au final, elles ne sont plus que 13. Pour ces 13 là, en revanche, le problème est grave.

Alors, à quand des livraisons 100 % à l'heure dans la supply chain aéronautique française ?
Les tier-1 (sous-traitants de rang 1, NDLR) et les avionneurs travaillent depuis de nombreuses années sur ce sujet. Il me semble que la question concerne plus les PME et les TPE en profondeur dans la supply chain. Là, nous savons qu'il nous faudra encore beaucoup d'efforts partagés entre les donneurs d'ordre (qui doivent contractualiser les relations, offrir des prévisions moyen et long terme fiables) et les PME / TPE (qui doivent savoir s'enrichir de ces prévisions et prendre les mesures industrielles qui en découlent). À travers les différents projets que Space anime, nous savons que la maturité de la filière est là pour aborder cette problématique, mais il y a urgence . Le "ramp up" est là, c'est une opportunité fabuleuse que nous ne pouvons pas nous permettre de rater.

chrsitophe cabaret asso space

Christophe Cabaret, directeur des opérations de l'association Space ©DR

Une autre démarche, intitulée "Agilité et confiance dans la supply chain aéronautique" a été lancée en parallèle par Aeropace Valley. Les deux programmes sont-ils concurrents ?

La démarche menée par Aerospace Valley se concentre sur Midi-Pyrénées alors que nous avons une envergure nationale. L'autre grande différence, c'est que nous sommes focalisés sur les résultats en termes de performance industrielle. "Agilité et Confiance" a pour sa part un raisonnement plus large (innovation, RH, stratégie, internationalisation, etc. NDLR) et la démarche est plus lourde pour les donneurs d'ordres car ils doivent mettre en œuvre eux-mêmes le plan d'action.. Les deux démarches sont intéressantes et pas forcément concurrentes. Certains donneurs d'ordres ont participé à des grappes des deux côtés, par exemple Liebherr ou Stelia.

La 1re phase du programme "Performance industrielle" arrivera à son terme en fin 2016 . Dans cette perspective, est-il envisageable de faire fusionner ces deux démarches qui ont le même objectif ?

Le cabinet Hommes & Développement, qui a mené la démarche "Agilité & Confiance", a été longtemps notre voisin de palier, donc nous avons beaucoup échangé. On a imaginé une fusion des démarches, mais ce n'est plus à l'ordre du jour aujourd'hui. Ceci dit, rien n'est définitif, cela dépendra de ce que veulent les donneurs d'ordres et l'État.

Les résultats du programme "performance industrielle" sont positifs. Que va-t-il se passer ensuite ?

Beaucoup de PME veulent continuer à s'inscrire dans la vie de la grappe dans laquelle elles évoluaient. Nous travaillons donc avec le Gifas sur une "phase 2" qui pourrait impliquer 200 entreprises ayant déjà participé à la phase 1, et 50 entreprises nouvelles. Le Gifas a donné son accord et nous allons rencontrer les représentants de l'État pour en parler le 18 février. Le partenariat avec l'État est fondamental puisqu'il finance 50 % du projet. Nous allons par ailleurs travailler au niveau régional avec les Conseils régionaux qui veulent consolider leur filière.

Nous avons aussi créé des clubs pour maintenir cet état d'esprit de dialogue qui s'est instauré et partager des bonnes pratiques. Nous les appelons les "Space share" et le premier s'est déjà tenu 4 fois en Midi-Pyrénées. Il regroupe, dans une PME locale, plusieurs chefs d'entreprises et un consultant de Space, l'objectif étant de tout pouvoir se dire en l'absence des donneurs d'ordre.

Enfin, nous proposons dès maintenant 11 nouvelles formations en réponse aux points de blocage identifiés pendant la phase 1 du programme

On sent que la filière aéronautique française se mobilise de façon inédite pour être plus performante. Le risque de délocalisation est-il réel ?

On peut se poser la question autrement : je suis donneur d'ordres, j'ai le choix d'acheter en Asie, en low cost et en dollars, ou bien d'acheter en France à des gens qui livrent en retard. Dans ce cas-là, je ne prends pas grand risque à délocaliser. Autre option : j'achète en France à des sociétés qui font du service, qui sont réactives et livrent à l'heure. Ce qui est important en phase de ramp-up, c'est la livraison à l'heure de pièces de qualité. Airbus ne le voit pas car il est livré à plus de 90 % à l'heure par ses tier-1. Mais Latécoère, Thales, Safran, etc., eux, subissent les retards causés par les plus petites entreprises. Tout se joue entre les "tier 1" et "tier 2". Des entreprises françaises capables de faire du service tous les jours impérativement peuvent se rendre indispensables.

La dernière enquête de l'Insee montre que 29 % des sociétés de la supply chain aéronautique sont totalement dépendantes des donneurs d'ordres de ce secteur. Ce manque de diversification des entreprises est-il un problème ?

Je ne crois pas. Une PME entièrement "aéro" qui sait sortir du lot, qui se rend indispensable grâce à sa flexibilité et ses services, peut très bien s'en sortir. Il faut pour cela que le chef d'entreprise ait une vision de son entreprise, du marché, de la conjoncture. Beaucoup de chefs d'entreprises et en particulier des TPE manquent de vision, de stratégie. C'est souvent parce qu'ils n'ont pas le temps de se poser et de dialoguer. Ce sont des patrons débordés que nous nous devons de supporter. Néanmoins, il est vrai que la diversification enrichit "naturellement" les chefs d'entreprise.

À propos de Space

Space est une association créée par les grands donneurs d'ordre européens pour soutenir l'amélioration de la supply chain de la filière aéronautique. Elle compte une centaine de membres et est présidée par l'ancien président du directoire de Latécoère, François Bertrand. C'est à Space que le Gifas a confié la mise en œuvre du programme Performance Industrielle.

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Commentaires 3
à écrit le 12/02/2016 à 14:46
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" les donneurs d'ordres se sont rendus compte qu'ils avaient en face d'eux de vrais partenaires, et non pas seulement des sous-traitants." N'est-ce pas le fond du problème de l'économie française ?

à écrit le 12/02/2016 à 14:13
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"6 600 jours de consultants à des tarifs préférentiels, et de 4 100 jours de formation" ... Et pendant ce temps-là, y bossaient pas. Et les délais se sont allongés. :-) Spectaculaires, les gars... Sinon, il m'est arrivé de financer des sous-traitants...

à écrit le 12/02/2016 à 13:27
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on a beau faire du modele scor, du lean & consors et du kanban a gogo, la perfection n'existe pas

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