Biznext : Mounir Mahjoubi prône le numérique "au service des gens"

Mounir Mahjoubi, président du Conseil national du numérique (CNNum) sera le 14 novembre à Toulouse l’invité de Biznext, organisé par La Tribune. Après avoir demandé au gouvernement de suspendre la mise en œuvre du mégafichier TES et de lancer une réflexion ouverte, Mounir Mahjoubi développe sa vision du numérique et sa volonté de lutter contre l’exclusion numérique. Interview.
Mounir Mahjoubi, président du Conseil national du numérique (CNNum)

Le gouvernement s'est-il trompé d'époque en ne consultant pas suffisamment sur le megafichier TES qui vise à conserver les données biométriques de près de 60 millions de Français dans une base centralisée ?

Les démocraties actuelles ne sont pas configurées pour traiter les grands sujets technologiques. Les politiques pensent que les choix technologiques sont uniquement des choix techniques. Or les choix technologiques sont des choix politiques.

Un débat citoyen était-il nécessaire ?

C'est vrai qu'à un mois du Sommet de Paris sur le partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO) présidé par la France, nous avons été pour le moins étonnés que ce débat n'ait pas lieu. Les décisions annoncées sur le TES vont à rebours de la démarche de consultation initiée par Axelle Lemaire sur les décrets d'application de la loi pour la République numérique. C'est d'autant plus surprenant que sur d'autres sujets comme l'enseignement supérieur et les PME, le gouvernement a affiché des objectifs clairs en matière de transparence.

Ce que nous avons fait pendant 4 mois sur la transformation numérique des universités prouve que quand on fait participer les gens, on peut aller vite. Ce n'est pas plus long de consulter, c'est même plus rapide et plus efficace. Thierry Mandon, qui est un des ministres les plus modernes du gouvernement, explique bien qu'une réforme sans analyse de l'acceptabilité ne sert à rien.

Votre demande de suspension du décret a-t-elle été entendue ?

Bernard Cazeneuve m'a appelé et quelques heures plus tard, il a rendu publique une lettre de 5 pages. Mercredi soir il m'a reçu et après un échange vif et intéressant, il s'est engagé a participer à la démarche de consultation du Cnnum et à partager de façon plus ouverte les éléments qui ont mené à ce choix technologique.

La question de la sécurité des données s'est-elle imposée à l'agenda du CNNum cette année (avec le fichier TES et la question du chiffrement) ?

Il y a un paradoxe : sur le chiffrement, c'est nous qui, cet été, avons réclamé le droit que l'on protège les données des Français. Et sur le fichier TES, on nous accuse d'être les défenseurs de la liberté ! Il n'y a pas, selon nous, d'un côté la liberté, de l'autre la sécurité. Précisément il faut plus de liberté pour plus de sécurité.

Ce que dit le CNNum, c'est que le choix de la centralisation des données revient à créer une cible d'une valeur inestimable face à des adversaires qui ne sont pas des amateurs. Il faut bien se dire qu'en matière de sécurité informatique, aucun système n'est imprenable. Il faut une base de données éclatée pour plus de sécurité.

Quel est votre plan d'action ?

Le CNNum, nous allons étudier les alternatives techniques à cette base centralisée. Nous allons mettre en ligne une plateforme, le décret, la lettre du ministre, notre analyse et nous appelons les experts numériques à participer à la réflexion. Nous voulons éclairer le débat, c'est notre rôle.

Quelle est votre vision du monde à l'heure du numérique ?

J'ai toujours été du côté du numérique pour les gens. Après avoir travaillé sur les sujets de la transformation numérique de l'enseignement supérieur et des PME, j'y crois encore plus. Les startups n'ont pas besoin de nous, ce sont déjà des super héros ! Moi je pense à tout le reste de la France. L'État français a été très bon pour numériser ses services mais moins bon pour accompagner les usagers dans la numérisation. Ce sujet de l'inclusion me tient particulièrement à cœur et c'est notre troisième grand chantier de l'année qui a été lancé la semaine dernière. Des groupes de travail sont lancés avec plusieurs événements pour rendre visible la problématique.

Comment abordez-vous la question de l'inclusion ?

On va travailler avec le 93 qui est l'un des départements les plus innovants dans le domaine de la lutte contre l'exclusion numérique. Le sujet va bien au-delà de l'accès à internet. Nous cherchons à déterminer dans l'expérience réelle de famille isolées, de personnes plus âgées ou malades quelles sont les difficultés avec les services du privé et les services du public. Il nous faut une vision exhaustive.

Le film Moi Daniel Blake de Ken Loach montre bien que quand l'administration ou les entreprises en liens avec le public n'ont pas de vision d'inclusion numérique, les machines qui sont censées nous aider déshumanisent les humains.

Chez les opérateurs téléphoniques, c'est la même chose. Se faire dépanner son internet pour une personne âgée ou éloignée de la technologie, c'est une souffrance, c'est même humiliant.

Biznext se déroulera le 14 novembre à Toulouse au Casino-Théâtre Barrière. L'entrée est libre sur inscription.

Lire aussi : Biznext : "Le coup d'État citoyen", la politique à l'heure du numérique

Mounir Mahjoubi

Nommé en février 2016 à la présidence du Conseil national du numérique (CNNum), Mounir Mahjoubi a cofondé au mois d'août dernier la startup French Bureau qui compte déjà 12 personnes et qui est hébergée au Liberté Living-Lab, un nouvel espace dédié à la "tech for good", la tech pour le bien commun.
Au sein du CNNum, ce trentenaire entrepreneur et geek s'est fixé pour objectif d'accélérer la diffusion du numérique dans tous les domaines de la société. Avec les 30 membres du CNNum, il a priorisé trois axes : l'usage du numérique dans les PME et PMI, la transformation numérique de l'enseignement supérieur et l'inclusion numérique pour que le numérique ne soit pas seulement considéré comme une technologie mais comme un outil utile au plus grand nombre. Dans son résumé sur LinkedIn, Mounir Mahjoubi a choisi 4 mots : "Creativity + Strategy + Technology+ Humanity", à l'image de sa vision de numérique.

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