"Sans satellites, la planète entière s'arrête  ! " Interview du président du Cnes, Jean-Yves Le Gall

Le spatial, qui emploie 16.000 personnes en France, est un "vecteur d'innovation pour l'emploi et la compétitivité" explique le patron du Centre national d'études spatiales (Cnes). Un enjeu majeur qui demande une vigilance de tous les instants face à une compétition mondiale qui s'accentue. Interview.
Jean-Yves Le Gall, PDG du Cnes

Le spatial, qui emploie 16.000 personnes en France, est un "vecteur d'innovation pour l'emploi et la compétitivité" explique le patron du Centre national d'études spatiales (Cnes). Un enjeu majeur qui demande une vigilance de tous les instants face à une compétition mondiale qui s'accentue. Interview.

La France est-elle un acteur mondial de premier rang dans l'innovation spatiale ?
La plupart des grands programmes européens ont leur origine en France. C'est le cas des programmes de navigation Galileo et EGNOS. Pour l'observation de la Terre, le Cnes a développé les satellites Spot, puis Helios et aujourd'hui Pléiades. En ce qui concerne les sciences, nous avons aussi généré beaucoup d'innovations. Enfin, dans les télécommunications, le Cnes a pris le taureau par les cornes en matière de propulsion électrique quand la France a compris, au début de 2013, que ses industriels étaient en train de se faire distancer par les constructeurs américains. Aujourd'hui, le Cnes considère que sa mission est d'être un vecteur d'innovation pour l'emploi et la compétitivité.

C'est-à-dire ?
Concrètement, nous ne faisons plus d'innovation "pour nous faire plaisir" mais pour qu'elle génère de la compétitivité et, in fine, de l'emploi. Dans notre programme de R&T (recherche et technologie, NDLR) pour les systèmes orbitaux, dont nous donnerons le coup d'envoi le 30 janvier à Toulouse en présence de notre ministre, Geneviève Fioraso, nous mettons l'accent sur les applications à finalité commerciale. En deux mots, il faut voir ce dont a besoin le marché et ensuite, développer un projet. Rappelez-vous, c'est la France qui a lancé les premiers satellites civils d'observation de la Terre, la série des Spot, mais c'est Google Earth qui a réussi la diffusion des images spatiales. C'est un peu dommage...

Avez-vous consulté le marché pour Ariane 6 ?
C'est exactement ce que nous faisons avec Ariane 6. Ce programme de lanceur est développé pour les besoins du marché. Et nous avons demandé au marché ce dont il avait besoin. Ce qui n'était pas le cas avec Ariane 5, un programme sur lequel les ingénieurs se sont fait plaisir en développant la cryogénie, la poudre et le bi-liquide sans réfléchir à comment nous allions vendre Ariane 5.

Avez-vous des exemples de programmes qui demain pourraient créer de nouvelles filières ?
Depuis une quinzaine d'années, le Cnes s'est beaucoup diversifié. Des filières sont apparues, qui ont créé des emplois. C'est le cas de l'océanographie, qui a conduit au développement d'une véritable industrie dans notre écosystème toulousain. Dans les années à venir, avec la mission franco-américaine SWOT que nous menons avec le Jet Propulsion Laboratory de la Nasa pour l'étude des surfaces d'eau océanique et continentale, cela va être pareil, d'autant plus que cette mission est aussi porteuse d'innovations scientifiques et techniques déterminantes. Dans un autre domaine, la propulsion électrique des satellites va contribuer à entretenir toute une filière en France. Et je n'oublie pas, bien sûr, Galileo et EGNOS, qui vont créer de nombreux emplois lorsque le système sera totalement opérationnel, dans deux ans. Ce pourrait être considérable.

L'Europe et la France sont-elles encore dans la course ?
Oui, mais cela demande une vigilance de tous les instants car, ce qui me frappe, c'est la fragilité de nos filières. Les États-Unis ont suscité deux ruptures technologiques majeures au cours de ces dernières années, et si rien n'avait été fait en Europe, elles auraient pu nous être fatales, ou tout au moins très préjudiciables. Je pense, bien sûr, à leur approche cost driven pour les lanceurs avec SpaceX ou Orbital, et aux satellites tout électriques développés par Boeing, qui entraîne dans son sillage Space Systems Loral. Mon constat, c'est que si l'on n'y prend garde, on peut sortir du marché du jour au lendemain, comme certains constructeurs américains l'ont fait par le passé, pour les lanceurs comme pour les satellites.

Qu'apporte le spatial dans la vie quotidienne sur terre ?
Le spatial est très présent dans la vie quotidienne : télécommunications, météorologie, navigation avec aujourd'hui le GPS et demain Galileo qui aura beaucoup plus de fonctionnalités que son concurrent américain, observation de la Terre... Il y a des retombées considérables, y compris dans l'emploi. Le spatial emploie 16.000 personnes en France. Ce sont des emplois hautement qualifiés qui tirent vers le haut toute notre industrie. C'est très important et c'est pour cela qu'il faut continuer à innover pour rester dans la compétition mondiale.

Si tous les satellites s'arrêtent, qu'est-ce qui se passe ?
La planète entière s'arrête !

Vous exagérez...
Non, parce que lorsqu'on mesure l'imbrication de toutes les applications spatiales dans la vie quotidienne, on voit bien que c'est la réalité. Vous n'avez plus de météo, plus de télécommunications, plus de réseaux bancaires, plus de GPS... S'il y avait une éruption solaire qui mettait tous les satellites sur off, notre vie serait très compliquée. Le spatial est aujourd'hui totalement banalisé. Il y a une anecdote savoureuse qui circule dans notre milieu, et qui illustre cela : il y a quelques années, les administrateurs de la Nasa et de la NOAA* seraient allés voir le président des États-Unis pour demander des crédits pour renouveler les satellites de météo, et ce dernier aurait répondu : "Pourquoi voulez-vous dépenser 8 milliards de dollars alors que j'ai la météo tous les soirs en regardant la TV ?" C'est en fait la rançon du succès.

Propos recueillis par Michel Cabirol pour LaTribune.fr
© photo Rémi Benoit

*National Oceanic and Atmospheric Administration

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